Interview du PDG d’Air France

Source: Les Echos

J.-M. Janaillac : ” Nous serons premiers entre les Etats-Unis et l’Europe “

Le PDG d’Air France-KLM, Jean-Marc Janaillac, évoque l’alliance avec l’américaine Delta et la chinoise China Eastern, ainsi que le lancement de sa nouvelle compagnie, Joon

Comment avez-vous fait la paix avec les pilotes et le reste du personnel ?

Le problème était psychologique. Le groupe manquait totalement de confiance. Nous avons passé beaucoup de temps à écouter les syndicats, les pilotes, les personnels navigants commerciaux (PNC) et nous nous sommes attachés à mettre les objectifs avant les moyens. Dire à tous que pour faire de la croissance, ce qui est crucial, nous allons leur demander un certain nombre d’efforts et de transformations de l’organisation de l’entreprise, qui passaient par la création d’une nouvelle compagnie avec des coûts inférieurs de 20  %. Mais pour cela, vous êtes obligés d’avoir l’accord des syndicats de pilotes.

Pourquoi autant de pouvoir aux pilotes ?

C’est une particularité de ce métier, partout dans le monde. Ils sont indispensables au fonctionnement de la compagnie et leur formation est longue. Le monde du transport aérien est incapable de gérer en prévisionnel. A certains moments, on en a trop, et à d’autres, on en manque. De plus, un pilote qui ne trouve pas de travail en France peut aller en Chine, dans le Golfe, etc. Ils ont donc un pouvoir de négociation assez fort, car ils sont assez rares.

Ce problème de rareté explique-t-il les difficultés de Ryanair, obligé d’annuler des milliers de vols ?

Ryanair est arrivé au bout de son modèle, qui consiste à ” ubériser ” totalement les pilotes. Ils sont tous travailleurs indépendants. Quand ils ne volent pas, ils ne sont pas payés. A un moment où l’on manque de pilotes, ils n’ont eu aucun mal à trouver des jobs chez Norwegian ou d’autres compagnies, ou chez nous. Ryanair s’est retrouvé sans pilotes pour ses avions. Il lui faut trouver un mode d’emploi des pilotes plus conforme à l’environnement et aux lois européennes, qu’il ne respecte pas.

Vous avez renforcé votre alliance avec Delta et China Eastern, qui ont pris chacune 10  % du capital d’Air France-KLM. Dans quel but ?

Il nous fallait des alliés pour pénétrer dans les villes secondaires des Etats-Unis et de Chine. Notre société commune avec Delta réalise déjà 12  milliards de dollars – 10,2  milliards d’euros – de chiffre d’affaires et est très profitable. Mais il fallait aller plus loin pour intégrer Virgin, dont Delta est le premier actionnaire. Avec cet accord, nous allons être le premier transporteur aérien entre les Etats-Unis et l’Europe avec plus de 25  % du marché. De plus, cette alliance nous permet de financer l’acquisition de Virgin et de réduire notre dette de 500 millions d’euros.

Est-ce un avantage ou un inconvénient que l’Etat possède encore 14 % de votre capital ?

Quand notre cours de Bourse était au plus bas, cela rassurait les investisseurs. Mais, de temps en temps, l’Etat peut avoir des processus de décision un peu plus complexes qu’un actionnaire classique. Au total, que l’Etat soit présent ou pas dans notre capital ne change pas grand-chose.

Quel est le positionnement de votre nouvelle compagnie Joon ?

Quand je suis arrivé aux commandes d’Air France-KLM, il était clair que pour qu’Air France retrouve la croissance il fallait baisser les coûts, en particulier les coûts des personnels navigants. Mais il n’était pas possible de le faire avec nos hôtesses et nos stewards. Nous avons donc créé une autre compagnie, Joon, avec des coûts de structure inférieurs. Nous avons souhaité aussi faire de cette contrainte économique une force commerciale. Notamment auprès des ” millennials ” – jeunes nés entre 1980 et 2000 – peu attirés par Air France. Ils représentent 30  % des voyageurs et seulement un peu plus de 20  % de ceux d’Air France. Quand on leur demande s’ils seraient tristes de voir une compagnie disparaître, ils répondent qu’ils seraient plus tristes si easyJet disparaissait plutôt qu’Air France. Plutôt que de faire de Joon une Air France bis, nous avons préféré créer une compagnie qui ferait le même métier qu’Air France mais avec des coûts inférieurs, une marque et un style bien différenciés.

A l’exemple de Norwegian, les low cost s’attaquent au long-courrier. Allez-vous lancer une compagnie low cost long-courrier ?

Ce n’est pas notre stratégie. Mais nous suivons cela de près pour ne pas reproduire avec les low cost long-courriers, les erreurs commises avec les low cost sur le moyen-courrier, que l’on a méprisé et qui ont finalement conquis 50  % du marché en Europe. Nous ne sommes pas certains que ce business model puisse s’étendre à l’ensemble du secteur. Mais nous restons vigilants.

Alitalia est à vendre. EasyJet, Ryanair et Lufthansa seraient intéressées. Pas Air France ?

Alitalia ne nous intéresse pas, même à la casse, car elle a déjà coûté quelques centaines de millions d’euros à KLM puis à Air France. Nous n’avons pas regardé le dossier car nous avons déjà une position assez importante en Italie.

PROPOS RECUEILLIS PAR, Guy Dutheil et P. ES. (Les Echos)