Air France: un partie de “poker perdant-perdant”

Source: Le Monde

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http://www.lemonde.fr/economie/article/2018/05/05/le-vote-sanction-des-salaries-pousse-le-pdg-d-air-france-klm-a-la-demission_5294658_3234.html

Un extrait du Monde du 6/05

Un groupe dont le redressement reste fragile et inachevé
Jean-Michel Bezat
Air France demeure encore nettement moins rentable que ses deux principales concurrentes européennes, Lufthansa et British Airways
Jean-Marc Janaillac aura donc passé moins de deux ans à la tête d’une entreprise réputée comme l’une des plus difficiles à piloter. Nommé PDG d’Air France-KLM en juillet 2016, trois mois après la démission surprise d’Alexandre de Juniac dans un climat social délétère, il quitte la compagnie aérienne un an avant la fin de son mandat.

La société est en voie de redressement, même s’il constate qu’elle reste « nettement moins rentable » que ses deux principales concurrentes européennes, Lufthansa et British Airways, avec un résultat de 590 millions d’euros en 2017. Une situation qui explique son refus des exigences salariales des 46 700 salariés français (sur un total de 83 000) – à commencer par celles des 4 000 pilotes.

Venu du groupe de transport Transdev (Caisse des dépôts-Veolia), ce condisciple de François Hollande à HEC et à l’ENA (promotion Voltaire) avait repris le manche après une grève dure, de violentes manifestations et l’agression de deux cadres dirigeants. Fin 2015, les images de leurs chemises arrachées avaient fait le tour du monde. M. Janaillac était arrivé chez Air France-KLM auréolé de ses succès de démineur du dossier SNCM, la compagnie maritime corse en dépôt de bilan, et de redresseur de Transdev en 2012-2013.

L’homme, dont on souligne volontiers la forte éthique, la liberté d’esprit et la détermination, avait une hantise : que faute d’un vigoureux plan de redressement et de développement, la compagnie tricolore ne subisse le sort d’Alitalia, dont le chiffre d’affaires a fondu avant qu’elle ne soit ballottée de plans sociaux en repreneurs. Dès novembre 2016, il avait présenté un projet d’entreprise baptisé « Trust Together » (« Avoir confiance ensemble »), pour « reprendre l’offensive » face à une concurrence de plus en plus féroce des compagnies à bas coûts et des géants du Golfe et d’Asie.

Des gages aux salariés

Il avait demandé des efforts de productivité aux salariés, mais s’engageait aussi à ouvrir de nouvelles lignes, notamment à travers une nouvelle compagnie, Joon, alors que son prédécesseur s’était résolu à réduire la voilure faute d’accord avec les syndicats. Il avait aussi donné des gages aux organisations de salariés en mutant le PDG d’Air France, Frédéric Gagey, critiqué pour sa dureté dans les négociations précédentes, au poste de directeur financier du groupe franco-néerlandais. « Je veux prouver que l’on passe à une nouvelle forme de management », confiait-il au magazine Challenges.

Après M. de Juniac, qui avait âprement négocié en 2014 avec les syndicats de pilotes le déploiement de la filiale low cost Transavia France destinée à concurrencer les compagnies comme EasyJet et Ryanair, son successeur s’apprêtait à renégocier cet accord pour renforcer la flotte d’avions et les équipages afin de desservir de nouvelles destinations. Il s’était aussi entendu avec eux pour le développement de sa filiale à plus bas coûts d’exploitation, Joon. Avec succès, puisque ses premiers avions ont décollé en décembre 2017 vers des villes européennes, et que des lignes longs courriers (Brésil, Seychelles…) seront ouvertes l’été prochain.

En juillet 2017, l’amélioration de sa santé financière avait permis à Air France-KLM d’annoncer trois partenariats stratégiques : l’ouverture de son capital à deux compagnies étrangères, l’américaine Delta Airlines (9 %) et la chinoise China Eastern (9 %), dans le cadre d’une augmentation de capital réservée de 750 millions d’euros, et le rachat de 31 % de Virgin Atlantic, la compagnie britannique fondée par Richard Branson. Ces opérations doivent lui permettre de capter plus du quart du très lucratif trafic Europe-Amérique du Nord et de se renforcer sur la clientèle des hommes d’affaires se rendant, notamment, à Shanghaï, la base de China Eastern.

En 2015, M. de Juniac était parvenu à présenter un résultat positif, le premier depuis 2007, qui tenait pour l’essentiel à un pétrole très peu cher. L’année suivante confirmera le redressement, amplifié en 2017. M. Janaillac est parvenu à faire progresser un indicateur clé : la recette unitaire, qui correspond au gain par passager. Au moment de son arrivée aux commandes, le patron d’Air France-KLM a bénéficié de la reprise mondiale du trafic aérien marquée par une hausse sensible du nombre de passagers et de prix encore raisonnables du kérosène, le second poste de dépenses après les salaires.

La compagnie Air France (hors KLM) était sur la voie du redressement dans un marché porteur. Mais ce Périgourdin de 65 ans, solide et pragmatique, reconnaissait que 2017 est « encore loin d’être extraordinaire ». L’année 2018, qui a commencé dans le rouge au premier trimestre, en raison notamment des grèves, affichera des pertes dans un contexte de remontée des prix du carburant.

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