Privatisation d’Air India: il est urgent d’attendre

Extrait du journal Le Monde

Le gouvernement Modi renonce à privatiser Air India avant les élections
Guillaume Delacroix
Le pays doit entrer en campagne à l’automne pour le scrutin législatif de 2019
Le prix du pétrole est apparu comme un alibi tout trouvé pour le gouvernement de Narendra Modi, qui a renoncé, lundi 18 juin, à la privatisation d’Air India. L’information n’a filtré que le lendemain, lorsque le ministre de l’aviation civile, Suresh Prabhu, a déclaré, à la sortie d’une réunion à Delhi, que ce projet était reporté sine die, « le moment n’étant pas le bon » du fait de l’envolée récente des cours de l’or noir.

L’argument a fait sourire les analystes financiers du quartier de la Bourse, à Bombay. Le 31 mai, date limite fixée pour le dépôt des candidatures au rachat de la compagnie aérienne, aucun investisseur ne s’était manifesté. Non que le coût de l’opération ait été considéré comme trop élevé, mais l’Etat voulait garder une participation de 24 % au capital, afin de pouvoir continuer à peser sur le devenir du groupe et de ses 16 800 salariés.

Un schéma jugé rédhibitoire par des compagnies comme IndiGo, numéro un en Inde avec 40 % de parts de marché, Jet Airways, numéro deux, ou la compagnie à bas coûts SpiceJet. Celles-ci auraient été intéressées par Air India si elles avaient pu, par la suite, découper l’entreprise publique et n’en conserver que les actifs les plus rentables, à savoir les lignes internationales et la filiale low cost Air India Express.

Trois filiales déficitaires sur six

« Air India est un cas classique où la somme des parties vaut plus cher que l’entité prise dans son entier. Il y a des candidats pour certaines activités bien précises. L’Etat aurait intérêt à la démanteler », estime un patron du transport aérien dans le quotidien économique Mint, sous couvert d’anonymat. La place financière souligne que trois des six filiales d’Air India sont déficitaires et que le groupe possède un nombre impressionnant d’actifs non stratégiques, dont un patrimoine immobilier estimé à plus d’un milliard d’euros.

L’endettement de la compagnie était l’autre pierre d’achoppement. Le ministère des finances s’était bercé d’illusions en envisageant de transférer au futur propriétaire l’équivalent de 334 milliards de roupies (4,2 milliards d’euros) de dettes, soit presque 70 % du fardeau total qui pèse sur les épaules d’Air India.

Si Delhi a finalement renoncé à tenter un second tour, c’est que l’Inde entrera en campagne électorale à l’automne en vue du scrutin législatif de 2019. De l’avis de tous les observateurs, lancer un nouvel appel à candidatures alors que le mandat des nationalistes hindous, au pouvoir depuis mai 2014, approche de son terme, aurait été très périlleux. « Le gouvernement pense qu’il ne pourra pas trouver preneur d’ici là », estimait le journal Business Standard dans son édition de mercredi.

Ce renoncement politique va néanmoins avoir un coût économique. En effet, Air India figurait en bonne place sur la liste des privatisations, dont les recettes attendues dans le budget de l’Etat fédéral pour l’année fiscale 2018-2019 s’élèvent à 800 milliards de roupies (10,1 milliards d’euros). L’objectif de maintenir le déficit public sous la barre des 3,3 % du PIB s’éloigne mécaniquement.

S’y ajoutent les dépenses liées à la fragilité financière d’Air India. Les dirigeants de la firme ont avoué début juin qu’ils allaient devoir emprunter à court terme 10 milliards de roupies (126 millions d’euros) pour faire voler les avions et payer les salaires des employés ces prochains mois.

Selon le cabinet de conseil CAPA India, Air India risque d’essuyer entre 1,3 et 1,7 milliard d’euros de pertes au cours des deux années à venir. « En restant dans le giron de l’Etat, la compagnie va voir encore davantage ses positions reculer sur le marché intérieur comme à l’international, au point qu’elle pourrait ne pas s’en remettre », prédit-il.