Boycotter l’avion ? (Flygskam)

Extrait du journal Le Monde

Le secteur aérien face à la « honte de prendre l’avion »
Guy Dutheil
Les compagnies craignent l’instauration de taxes pour lutter contre le réchauffement climatique
SÉOUL
La montée en puissance du mouvement flygskam (« honte de prendre l’avion »), qui invite les citoyens, au nom de la préservation de l’environnement, à préférer d’autres moyens de transport moins polluants, ne laisse pas les compagnies aériennes insensibles. Le sujet a été abondamment évoqué lors du congrès annuel de l’Association internationale du transport aérien (IATA), qui se tenait du 1er au 3 juin à Séoul, en Corée du Sud.

Le flygskam, né en Suède il y a quelques mois, « nous inquiète », confie Alexandre de Juniac, directeur général de IATA. « Beaucoup de cette aviation bashing est fondé sur une méconnaissance des engagements qu’a pris le secteur », veut croire le patron de l’association des compagnies aériennes. « Les émissions de CO2 sont le problème. Nous pouvons et nous avons pris des initiatives pour les réduire. Et nous devons le faire savoir », plaide-t-il.

En chœur, les compagnies tiennent à rappeler que l’avion compte pour « 2 % à 3 % seulement des émissions de CO2 » dans le monde. Un chiffre contesté par les associations écologistes, à l’instar du Réseau Action Climat France (RACF), qui rassemble, notamment, des ONG impliquées dans la défense de l’environnement. Selon leur calcul, le transport aérien serait « à l’origine de 4,9 % du réchauffement climatique mondial ».

A Séoul, les compagnies aériennes assurent ne pas avoir attendu les alertes sur le réchauffement climatique pour prendre des mesures. « C’est le premier secteur à avoir pris des engagements forts de façon volontaire, explique Nathalie Simmenauer, directrice du développement durable d’Air France. Dès 2009, nous avons souhaité améliorer l’efficacité énergétique de nos vols en réduisant de 1,5 % par an nos émissions de CO2. » La cadre dirigeante précise que l’aviation s’est aussi engagée à « assurer une croissance neutre en carbone à compter de 2020 ». Une démarche complétée par ailleurs par la volonté affirmée de « réduire de 50 % les émissions de carbone en 2050, par rapport à la référence de 2005 ».

Combat d’arrière-garde

Et pour cause, dénonce encore RACF : « Au niveau européen, les vols internationaux ont une forte responsabilité avec une augmentation des émissions de CO2 de 110 % entre 1990 et 2008. » Les ONG rappellent qu’« un vol aller-retour Paris-Pékin produit 1 239 kilos d’émissions de CO2 par passager, l’équivalent des émissions d’une famille pour se chauffer pendant un an en France ». Ce ne serait pas l’effet flygskam, en fait, qui inquiéterait à court terme les compagnies aériennes. Air France, qui redoute beaucoup plus la concurrence du TGV, n’aurait d’ailleurs remarqué « aucun impact notable ».

Certes, ce mouvement aurait des « effets en Suède où l’on a noté une baisse de la demande », relève M. de Juniac. Le gestionnaire d’aéroports suédois Swedavia AB a enregistré pour la première fois depuis dix ans un recul du trafic passagers. Un repli plus fort sur les vols domestiques (– 6 % en un an), que sur les destinations internationales (– 2 %). Mais cette baisse serait moins liée à la honte de prendre l’avion « qu’à la mise en place d’une taxation supplémentaire », estime Mme Simmenauer.

Or, justement, la grande crainte des compagnies aériennes, c’est l’instauration d’une nouvelle taxe au nom de préoccupations écologiques. En France, les ONG environnementales demandent ainsi, à l’occasion de l’examen du projet de loi d’orientation des mobilités à l’Assemblée nationale, à partir de lundi 3 juin, la mise en place d’une « contribution climat » sur les billets d’avion, qui serait « complémentaire » d’une éventuelle suppression de la niche fiscale dont profite le kérosène.

Sentant le danger, le patron de IATA dénonce un « climat d’hypocrisie » à l’encontre du transport aérien, où « trop nombreux sont ceux qui restent focalisés sur des taxes environnementales punitives », et agite la menace sur « les emplois et les économies dans le monde entier ». Plus prosaïque, la responsable du développement durable d’Air France signale qu’une « taxation au niveau national serait contre-productive. Elle aurait des conséquences négatives sur la compétitivité du pavillon français sans réduire l’impact environnemental global du transport aérien ». Pour y échapper, des compagnies pourraient se détourner des aéroports de Roissy et d’Orly. Pour Mme Simmenauer, les transporteurs aériens sont déjà frappés au portefeuille. « Ils doivent payer une compensation pour les vols intra-européens. » Air France verserait déjà de 40 millions à 50 millions d’euros par an.

Pourtant, ce front commun des compagnies contre une nouvelle taxe verte ressemble à un combat d’arrière-garde. Au mieux, elles pourront seulement en limiter les effets, car, comme le reconnaît un dirigeant : « Cette taxe, on l’aura ! »

Source : Les Echos

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