Le 737 MAX un an au sol ?

Source: Le Monde du 03-07-2019 (Guy Dutheil)

Le 737 MAX pourrait rester cloué au sol un an


Selon un cabinet de conseil, le moyen-courrier de Boeing serait immobilisé jusqu’au printemps 2020
Le 737 MAX n’est pas près de revoler de sitôt. Selon les projections du cabinet de conseils Archery Strategy Consulting (ASC), l’avion de Boeing, immobilisé depuis le 13 mars, pourrait rester cloué au sol pendant un an. Un tel scénario serait un coup dur pour l’avionneur américain. A l’occasion du Salon du Bourget, qui s’est achevé le 23 juin, il avait laissé entendre à ses principaux fournisseurs que la certification de l’appareil était en bonne voie ; il entrevoyait un retour en vol du MAX début août. Ce calendrier optimiste ne tient plus.

Fin juin, l’Agence fédérale américaine de l’aviation (FAA) a découvert, à l’occasion de tests poussés sur simulateur, une nouvelle anomalie dans une carte contrôleur, un matériel informatique qui sert à ajouter des fonctionnalités.

Une véritable tuile pour Boeing, car cet élément entre dans l’activation « du système de stabilisation de l’avion », précise le cabinet ASC. Le dispositif informatique MCAS, qui sert à stabiliser l’appareil, notamment dans sa phase de décollage, est mis en cause dans l’incident et dans le crash de Lion Air du 28 et du 29 octobre 2018, puis dans celui d’Ethiopian Airways, en mars 2019. Deux catastrophes qui ont fait 346 morts, passagers et membres d’équipages. Entré dans la période de silence obligatoire à quelques semaines de la publication de ses résultats financiers semestriels, prévue le 24 juillet, Boeing « se refuse à tout commentaire ».

Pour ASC, le calendrier « très optimiste », qui prévoyait « une reprise des vols d’ici à la fin de l’année », ne tient pas. Notamment à cause de la pénurie de simulateurs. Il n’y en aurait que sept de par le monde intégralement dévolus au MAX ou qui intègrent les spécifications.

Trois mois et demi après la décision d’immobiliser l’appareil, 370 exemplaires du MAX ont encore été livrés à des compagnies aériennes clientes, tandis que 170 sont stockés sur des parkings par l’avionneur. A raison de dix pilotes, en moyenne, par appareil, précise ASC, il faudra donc, au bas mot, « douze semaines pour former les 4 000 pilotes », sur les rares simulateurs de vol en service.

Désormais, pour ASC, « le scénario le plus probable est une reprise des vols commerciaux au premier semestre 2020 ». Le temps, notamment, pour la FAA et les autres agences de régulation de passer au crible l’avion.

Les fournisseurs vont souffrir

Elles pourraient, à cette occasion, demander à Boeing des « modifications supplémentaires » sur l’appareil. Notamment l’installation, à l’instar d’Airbus, de trois sondes au lieu d’une seule pour Boeing pour aider à la stabilisation de l’avion. Elles pourraient aussi exiger des temps de formation en sus pour les pilotes. Dans cette hypothèse, le MAX ne devrait pas reprendre l’air avant le printemps 2020.

Rien ne dit que toutes les autorités seront d’accord au même moment pour la reprise des vols. La Chine, un des premiers pays à avoir décidé de clouer l’appareil au sol, pourrait se montrer tatillonne. Pékin pourrait en faire une arme dans son conflit commercial avec les Etats-Unis. Une mauvaise nouvelle pour Boeing, car la Chine représente 30 % de son carnet de commandes. Jusqu’au 13 mars, l’avionneur américain avait engrangé plus de 5 000 commandes pour son MAX, contre plus de 6 000 pour l’A320neo d’Airbus.

Confronté à une immobilisation de longue durée, Boeing devrait de nouveau ralentir ses cadences de production. En avril, le groupe était déjà passé de 52 exemplaires sortis des chaînes chaque mois à 42. Dans cette perspective, il ne devrait pas annoncer de licenciements, mais procéder à « des réductions du temps de travail », prévoit ASC, notamment en recourant au « chômage technique ».

Surtout, une interdiction à rallonge aura « un impact sur la trésorerie » du constructeur de Seattle (Washington). Avec un prix de vente de chaque MAX compris entre 50 millions et 60 millions d’euros, ce sont de 1 milliard à 1,5 milliard de dollars (jusqu’à 1,3 milliard d’euros) qui partent en fumée chaque mois pour Boeing. Selon ASC, « la trésorerie de Boeing sera insuffisante vers la fin de l’année ». En revanche, c’est une fortune gigantesque qui va s’accumuler sur les tarmacs. Fin 2019, les 430 appareils cloués au sol seront valorisés 17 milliards de dollars.

Dans le sillage de Boeing, c’est toute la chaîne de fournisseurs du 737 MAX qui va souffrir. A la différence d’Airbus, qui a fait le choix d’équipementiers multiples, l’américain privilégie la source unique. Les moteurs du MAX sont produits en exclusivité par CFM, une entreprise détenue à 50-50 par le motoriste français Safran et l’américain GE. Le manque à gagner de CFM pourrait atteindre entre 800 millions et 1,2 milliard de dollars à la fin 2019. Selon ASC, les fournisseurs pourraient perdre entre 15 % et 25 % de leur chiffre d’affaires cette année.

Face à cette perte sèche, « Boeing devra faire attention à ce que ses fournisseurs ne meurent pas », signale ASC, si le constructeur veut redémarrer la production de son avion, une fois le feu vert des autorités reçu. Pour l’heure, les équipementiers ne veulent pas croire à ce scénario catastrophe. « Le pire n’est jamais sûr. Nous ferons le dos rond avec Boeing », se défend l’un d’entre eux, qui souhaite rester anonyme. Toutefois, il ajoute : « Si l’immobilisation doit dépasser l’été, cela peut aller très loin. La traversée du désert sera très longue » pour Boeing.

Il n’empêche, la crise du MAX va coûter très cher. Entre les coûts de maintenance des appareils cloués au sol, les dédommagements aux compagnies privées de leurs avions, les ristournes en direction des fournisseurs pour combler leur manque à gagner et, surtout, les indemnités versées aux familles et aux proches des 346 victimes des deux crashs, ce sont près de 10 milliards de dollars que Boeing pourrait devoir débourser.

Une somme qui engloutira les 10 milliards de dollars de bénéfices engrangés par l’américain en 2018. Ce montant correspond à l’investissement qu’aurait dû consentir Boeing s’il avait choisi de développer un nouveau programme plutôt que de remotoriser à la va-vite un 737 conçu dans les années 1960 et qui apparaît, aux yeux de beaucoup, comme un avion en bout de course.

Les Echos

Voir aussi le stockage au sol sur

https://www.aeronewstv.com/fr/industrie/aviation-commerciale/4513-ces-boeing-737-max-qui-s-accumulent.html