Inde: vers le pole sud de la lune

Les Echos

Source: Le Monde du 24-07-2019

L’Inde prend à son tour la route de la Lune

Décollage, le 22 juillet, de la fusée indienne à destination de la Lune. SPACE RESEARCH ORGANIZATION/AP
Guillaume Delacroix
Le pays a finalement réussi à lancer une fusée « low cost » à destination du satellite. La mission examinera en septembre le pôle sud, une région jamais explorée par l’homme, grâce au vaisseau de 3,84 tonnes baptisé « Chandrayaan-2 »
BOMBAY – correspondance
Lundi 22 juillet, l’Inde a mis un pied dans la porte du club très restreint des pays capables de poser un appareil sur la Lune, club auquel n’appartiennent pour l’instant que la Russie, les Etats-Unis et la Chine. A 14 h 43 (11 h 13 heure française), la fusée GSLV-MkIII de l’Organisation de recherche spatiale indienne (ISRO) s’est arrachée du pas de tir du centre spatial Satish-Dhawan, sur l’île de Sriharikota située sur le rivage du golfe du Bengale. Destination : le pôle sud du satellite naturel de la Terre, une zone jusqu’à présent inexplorée par l’homme.

Le 15 juillet, une première tentative de tir avait été interrompue in extremis, après la découverte d’une avarie dans le réservoir du moteur cryogénique du lanceur, moins d’une heure avant la fin du compte à rebours. Selon des experts cités anonymement par la presse indienne, il y aurait eu une « microfuite d’un joint dans une bouteille d’hélium » lors de la mise sous pression de celle-ci, préalable indispensable à la combustion de l’oxygène et de l’hydrogène liquides au moment de la propulsion. La réparation, jugée mineure, aura été rapide.

De multiples reports

Toutefois, il va falloir attendre un peu plus d’un mois pour savoir si le géant d’Asie, actuellement dirigé par le nationaliste hindou Narendra Modi, entre réellement dans la cour des grands, d’autant que cette mission, imaginée en 2007, a subi de multiples reports. « Nous n’avons jamais entrepris une mission aussi complexe », a reconnu en juin le président de l’ISRO, Kailasavadivoo Sivan. Plus complexe que la mise en orbite de la sonde Mangalyaan autour de la planète Mars, en 2014, qui relevait pourtant de l’exploit.

La GSLV-MkIII, haute de 44 mètres et pesant 640 tonnes, est le plus puissant lanceur indien jamais mis au point par l’ISRO. Souvent comparée à la fusée européenne Ariane-4, elle est partie dans l’espace avec un vaisseau de 3,84 tonnes baptisé « Chandrayaan-2 » (« chariot lunaire » en sanskrit) et s’est placée en orbite autour de la Terre, à une altitude de 170 kilomètres. Le module va tourner durant une phase d’accélération de plus de trois semaines, pour être ensuite catapulté vers la Lune.

Il entamera alors un voyage de 384 400 km qui durera cinq jours et au terme duquel il se placera en orbite autour de la Lune pour un peu plus de deux semaines, à 100 km d’altitude. Après s’être séparé de l’orbiteur, l’atterrisseur commencera sa descente et devrait se poser le 7 septembre, comme prévu initialement, sur un haut plateau entre les cratères Manzinus C et Simpelius N, à 70 degrés de latitude sud. « Ce sera le moment le plus terrifiant » pour les scientifiques de l’ISRO, d’après leurs propres dires.

Ces derniers, qui ont été marqués par le crash lunaire de la sonde israélienne Bereshit, le 11 avril, surveilleront leur engin depuis le siège de l’organisation, à Bangalore. Pendant que l’orbiteur continuera de tourner autour de la Lune pendant un an environ, l’atterrisseur libérera, quatre heures après s’être posé, un robot mobile à six roues de 27 kilogrammes, du nom de Pragyan (« sagesse » en sanskrit), mû par l’énergie solaire. C’est lui qui mènera des expériences durant une journée lunaire, soit quatorze jours terrestres. Objectif : cartographier chimiquement la zone en trois dimensions, afin de mieux comprendre les origines de la Lune, ainsi que les conditions dans lesquelles notre système solaire est né. D’après Kailasavadivoo Sivan, plusieurs éléments et molécules devraient être détectés, dont le magnésium, le fer, le calcium, l’hélium… et l’eau.

En novembre 2008, l’Inde avait découvert la présence de molécules d’H2O dans le cadre de la mission Chandrayaan-1, qui n’avait pas pour objet d’alunir. Hélas, Bangalore avait perdu le contact au bout de neuf mois. Cette fois-ci, il s’agit de voir, de près, d’éventuelles poches de glace. « Le pôle sud lunaire est particulièrement intéressant car, par rapport au pôle nord, une plus grande partie de sa surface reste dans l’ombre et il y a une possibilité de présence d’eau dans les zones ombragées en permanence », indique l’ISRO.

En cas de succès, la mission Chandrayaan-2 sera la preuve que le « low cost » est possible dans l’espace. Depuis des années déjà, les activités de l’ISRO sont caractérisées par la recherche systématique des coûts les plus bas possible, cette « frugalité » économique dont le pays se targue dans bien d’autres domaines et qui est la conséquence du peu de moyens financiers dont il dispose, comparé aux Etats-Unis ou à l’Europe. Alors que le dernier pays à avoir aluni, la Chine, est allé explorer la face cachée de notre satellite en janvier avec la sonde Chang’e-4 pour quelque 750 millions d’euros (d’après la presse indienne), l’Inde n’aura dépensé au total que 9,78 milliards de roupies (127 millions d’euros) pour sa nouvelle mission : 48,7 millions d’euros pour le lanceur GSLV-MkIII et 78,3 millions d’euros pour l’orbiteur, l’atterrisseur et le robot mobile constituant la sonde Chandrayaan-2.

Quels que soient les moyens mis en œuvre, « l’Inde doit nécessairement être à l’avant-garde de la course géopolitique aux explorations spatiales et participer à la nouvelle ruée vers la Lune », estime Chilamkuri Raja Mohan, directeur de l’Institut des études sur l’Asie du Sud à l’université de Singapour. L’ISRO ne compte d’ailleurs pas en rester là. Elle prétend qu’elle réalisera d’ici à 2022 son premier vol habité, en envoyant un équipage de trois astronautes dans l’espace, avant la construction de sa propre station spatiale, à l’horizon de dix ou quinze ans.

Du point de vue de Narendra Modi, la mission Chandrayaan-2 est un argument de plus à faire valoir pour imposer l’Inde sur la scène internationale. Le premier ministre indien s’était déjà bruyamment félicité de l’envoi par l’ISRO d’un prototype de navette spatiale dans la haute atmosphère en 2016, puis du lancement simultané de 104 satellites en 2017. En mars, il est soudainement apparu à la télévision pour annoncer que l’Inde venait d’abattre un satellite en orbite basse à l’aide d’un missile. Quelques jours à peine avant les élections générales.

ReplyForward