Le cygne noir: la puissance de l’imprévisible

Un livre à lire (il existe en poche)

Une rubrique du journal Le Monde

Le retour du cygne noir

Par Philippe Escande

Quel animal a transmis ce mauvais virus aux humains ? Les épidémiologistes pointent du doigt la chauve-souris ou le pangolin, voire une combinaison des deux. L’économie aussi a son bestiaire maudit. Le spécimen le plus célèbre depuis le début du XXIe siècle est sans conteste le cygne noir. Théorisé par Nassim Nicholas Taleb, tradeur reconverti dans la philosophie, il désigne un événement rare, donc non modélisé, mais aux conséquences extrêmes. Le coronavirus est le cygne noir de 2020, celui qui pourrait bien précipiter le monde dans la crise économique la plus grave depuis celle de 2008.

Bien sûr, les épidémies ne sont pas rares : il s’en produit régulièrement, de plus ou moins sévères. Mais une pandémie de cette échelle, affectant en premier lieu la première puissance exportatrice du monde et se répandant ensuite prioritairement dans les pays développés, on n’en avait pas connu depuis la grippe espagnole de 1918. De plus, elle survient dans un contexte inflammable préparé depuis près de quatre ans par la guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis et la montée des populismes sur fond d’évolution démographique et de révolution technologique. A cela s’ajoute une situation macroéconomique unique, où l’inflation a disparu et l’argent ne coûte plus rien.

La séquence actuelle est celle d’une tempête parfaite où tous les signaux négatifs s’alignent subitement. D’abord, le développement exponentiel de la contamination en Chine provoque l’arrêt de la machine industrielle et la désorganisation des chaînes d’approvisionnement mondiales. Les marchés s’inquiètent. Face à l’ampleur du phénomène, qui s’étend à l’Europe, puis aux Etats-Unis, la Réserve fédérale américaine (Fed) décide de baisser brutalement son taux directeur de 0,5 point de pourcentage. Habituellement, les investisseurs adorent ce genre de mesure qui favorise la Bourse. Cette fois, au contraire, ils se sont alarmés de l’empressement de la Banque centrale. Conséquence : les taux des bons du Trésor américains sont tous passés sous les 1 %. Dernier clou dans le cercueil de l’une des plus longues croissances mondiales de l’histoire, l’Arabie saoudite déclenche la guerre des prix du pétrole, provoquant la plus forte chute des cours depuis la guerre du Golfe.

Frugalité et flexibilité

Par la grâce d’un cygne noir déguisé en coronavirus, nous voilà revenus en 2009, quand on s’interrogeait sur la manière dont l’économie pourrait repartir. Reprise en U, en L ou en W, tout l’alphabet des conjoncturistes est convoqué pour imaginer la sortie des difficultés. Signe (ou cygne ?) qui ne trompe pas, le fonds 36 South Capital Advisors, spécialisé pour parier sur ce genre de catastrophe, reconnaît avoir réalisé, en février 2020, sa meilleure performance depuis 2008.

Pour les autres, c’est la soupe à la grimace qui commence. Dans une lettre envoyée le 5 mars aux patrons des entreprises qu’il finance, le fonds américain Sequoia les invite à réexaminer leur stratégie financière, à anticiper une baisse de leur activité et à faire preuve de frugalité et de flexibilité. Mais il rappelle aussi que nombre de grandes sociétés qu’il a financées, comme Cisco, Google, PayPal ou Airbnb, sont nées en plein cœur des crises précédentes. Les crises, et les cygnes, annoncent aussi de grandes transformations.

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