IATA: vers la reprise

Source Le Monde du 31/05/2020

Alexandre de Juniac : « Les mesures sont prêtes pour relancer l’aérien »

Propos Recueillis ParGuy Dutheil

Le directeur général de l’Association internationale du transport aérien fait des propositions pour éviter la quarantaine et la distanciation dans les avions

ENTRETIEN

Alexandre de Juniac, ancien PDG d’Air France-KLM, est, depuis le 1er septembre 2016, directeur général de l’Association internationale du transport aérien (IATA), qui regroupe 293 compagnies aériennes. Le dirigeant d’entreprise propose un catalogue de mesures pour éviter la quarantaine et la distanciation d’un siège sur deux dans les avions.

Après de nombreuses semaines à l’arrêt, quelle va être l’ampleur du manque à gagner pour les compagnies aériennes ?

L’IATA a calculé 312 milliards de dollars de pertes de chiffre d’affaires (environ 280 milliards d’euros) pour les compagnies. C’est un minimum pour l’année 2020. Nous n’avons pas revu cette estimation, mais nous considérons que ce chiffre est plutôt un plancher qu’un plafond. C’est gigantesque. Sans précédent !

Comment voyez-vous le redémarrage du transport aérien ?

Le credo d’IATA tient en trois mots : consultation, coopération, harmonisation. Cela veut dire que la réouverture des frontières doit être coordonnée au moins régionalement, si ce n’est mondialement. Elle doit se faire en collaboration avec l’industrie. Il faut aussi que les mesures sanitaires soient harmonisées entre les Etats pour éviter un patchwork ingérable et risqué pour les compagnies. C’est pourquoi, sous l’égide de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), en collaboration avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et des gouvernements, nous avons créé une « task force » de redémarrage, qui a travaillé sur la relance de l’industrie et la mise en place de processus de contrôles sanitaires pour la sécurité à bord et la non-transmission du virus d’un pays à l’autre.

Quand ce dispositif des bonnes pratiques sera-t-il publié ?

Les mesures sont prêtes pour relancer le transport aérien. Nous les finalisons et ce sera public lundi 1er juin. Un guide sera publié avec des procédures pour mettre en œuvre un contrôle sanitaire. IATA les a présentées directement à 21 pays, dont la France, les Etats-Unis, la Chine, la Grande-Bretagne. Elles ont recueilli l’assentiment général. 

Si le rapport est définitivement approuvé lundi, ces mesures pourraient commencer à être appliquées dès le mois de juin. Nous pensons que si nous mettons en place le système de contrôle et de protection que nous préconisons, il n’est pas besoin de neutraliser des sièges.

Quelles mesures préconisez-vous dans les avions ?

Nous proposons un contrôle des températures au départ et à l’arrivée, le port obligatoire du masque, éventuellement une déclaration de santé, des avions désinfectés, de la nourriture préemballée, un seul bagage cabine, mais aussi la limitation des déplacements à bord. Nous pensons que si ce système de contrôle et de protection que nous préconisons est mis en place, il n’est pas besoin de neutraliser des sièges.

Cela pourra-t-il accélérer le retour à la normale ?

Les estimations placent le retour à la normale fin 2022-début 2023. Ce qui est intéressant, c’est que l’état d’esprit des compagnies aériennes suit l’évolution de la pandémie de Covid-19. Il y a trois semaines, les transporteurs européens étaient très pessimistes mais, depuis une semaine, l’horizon s’est beaucoup éclairci. 

Nous avons constaté la même évolution chez les transporteurs asiatiques, mais avec trois semaines d’avance. Si l’on regarde les crises précédentes, en général, la reprise a été assez rapide. Ce qui rend les estimations difficiles, c’est qu’à la pandémie s’ajoutent une récession économique lourde qui frappe le monde entier et une attitude très prudente des gouvernements, notamment en matière de réouverture des frontières et de restrictions des voyages internationaux.

Quelle reprise de l’activité anticipez-vous ?

Les compagnies aériennes low cost ont l’air d’avoir une vision plus dynamique, avec une reprise plus rapide de leur activité. Sachant que ces compagnies ont une activité concentrée presque à 100 % sur le court et moyen-courriers, alors que chez les compagnies régulières, le poids du long-courrier est beaucoup plus important. 

La reprise du long-courrier sera plus tardive. La relance du court et moyen-courriers s’étale de fin mai jusqu’à la fin du troisième trimestre de 2020. En revanche, il n’y a pas de reprise significative du long-courrier avant la fin du troisième trimestre. Pour IATA, à la fin de 2020, le trafic devrait atteindre 50 % à 60 % de son niveau de l’année 2019.

Les low cost vont-elles profiter de la pandémie pour prendre des parts de marché aux compagnies régulières ?

Elles en gagneront aussi parce que les compagnies classiques vont tailler dans leurs réseaux court et moyen-courriers, notamment les vols domestiques, ce qui devrait profiter aux low cost. A l’exemple d’Air France ou de Lufthansa. Mais des low cost, filiales de compagnies historiques, comme Transavia pour Air France, ou Eurowings pour Luthansa, pourraient bénéficier du retrait de leurs maisons mères. 

Les compagnies aériennes à bas coûts ont toujours été en progression ces dernières années, pour atteindre à peu près la moitié du marché, au moins en Europe. Sauf en France, avec seulement 42 % à 43 %. Cela correspond à une forte demande des voyageurs, qui est de voler dans des conditions économiques intéressantes et avec des niveaux de services et de confort limités par la durée du trajet.

Pour le transport aérien, le monde d’après sera-t-il différent du monde d’avant ?

Cela ne devrait pas être fondamentalement différent. Le point sur lequel on peut avoir des interrogations, c’est plus le voyage d’affaires que celui de tourisme car l’appétit pour le voyage est encore là. Le télétravail, Internet, la vidéo, conférence, est-ce que cela ne va pas inciter les hommes d’affaires à voyager un peu moins et à utiliser les outils Internet, et les entreprises à limiter les budgets voyages ?

La crise laissait planer la menace d’une hécatombe parmi les compagnies. La redoutez-vous toujours ?

C’est un peu tôt pour le dire car beaucoup d’entre elles sont sous la protection du régime des faillites. Comme pour Avianca et latam, qui sont deux des plus grandes compagnies d’Amérique latine. Aux Etats-Unis, il n’y a encore rien eu car des milliards de dollars ont été injectés. En Europe, deux grandes compagnies historiques (Air France-KLM et Lufthansa) bénéficient d’un peu moins de 20 milliards d’euros d’aides publiques. Norwegian et le secteur aérien norvégien ont été sauvés par l’injection massive de fonds publics.

Même chose en Asie. Pour l’instant, il n’y a pas eu encore beaucoup de disparitions. Mais le secteur aérien reste encore fragile. Tout dépendra de la rapidité de la reprise. C’est-à-dire de la demande pour des billets d’avion, mais surtout de la levée des restrictions aux frontières, sinon cela ne pourra pas fonctionner. Les gouvernements ont une grosse responsabilité.

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