Soutien de l’aéronautique en France

Les Echos

Et dans le Monde du 10/06/2020

Aéronautique : l’Etat débloque 15 milliards

Sur le site de Safran, sous-traitant d’Airbus, à Colomiers (Haute-Garonne), en mai 2018. PASCAL PAVANI/AFP

Guy Dutheil

Pour éviter des milliers de suppressions d’emplois, le gouvernement prolonge les mesures de chômage partiel

La distribution continue pour venir en aide à tous les secteurs en grandes difficultés. Après un plan de 18 milliards d’euros pour sauver l’industrie du tourisme, puis encore 8 milliards d’euros pour la filière automobile, c’est au tour de l’aéronautique de bénéficier d’une pluie de milliards d’euros. Le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, a annoncé, mardi 9 juin, un plan de soutien massif à l’aéronautique d’un montant de plus de 15 milliards d’euros. « Il est proportionné à la violence qu’a représentée la crise en ce début d’année et à son impact durable sur le trafic aérien », justifie M. Le Maire.

Cette aide de l’Etat était très attendue par toute la filière qui regroupe au sens large près de 300 000 emplois et dégage 58 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel, et qui souffre des conséquences de la pandémie de Covid-19. « Ce plan va nous aider très fortement », soupire de soulagement un gros industriel du secteur. Pour preuve, les deux fleurons de l’aéronautique, l’avionneur européen Airbus, qui emploie 47 000 salariés en France, et le motoriste Safran, 45 000 dans l’Hexagone, ont connu une chute brutale de leurs activités.

« Répondre à l’urgence »

Celle d’Airbus a reculé de 40 % tandis que Safran a reconnu un repli de 50 % son chiffre d’affaires et de son activité. Pour atteindre cette manne de 15 milliards d’euros, le plan échafaudé par l’Etat, après des discussions serrées avec les grands industriels, devrait toutefois intégrer une partie des 7 milliards d’euros déjà accordés à Air France notamment sous la forme d’un prêt garanti de 4 milliards et d’un prêt direct de 3 milliards.

Le premier objectif de ce programme de soutien est de « répondre à l’urgence en soutenant les entreprises en difficulté et protéger leurs salariés », déclare M. Le Maire. Notamment, confirme Bercy, en s’attachant à d’abord « sauver les emplois et les compétences » du secteur qui fait travailler plus de 35 000 ingénieurs. Selon le ministère de l’économie, « ce sont 100 000 emplois qui seraient menacés dans les mois qui viennent » si rien n’est fait.

Pour éviter une telle hécatombe, le gouvernement a décidé « d’activer les garanties à l’export (…) pour éviter les annulations et reports de commandes d’avions », indique le ministre de l’économie. Les autorités ont décidé d’accorder aux compagnies aériennes « un moratoire de douze mois pour rembourser leurs emprunts auprès des banques », explique Bercy. Une mesure qui devrait apporter 1,5 milliard d’euros de trésorerie dans les caisses des compagnies aériennes. Mais comme « la reprise devrait être longue : les prévisions actuelles pour le transport aérien n’anticipent pas de retour au niveau précrise avant 2023 », ajoute le ministre, l’Etat veut proposer à la Commission européenne « d’allonger la durée pendant laquelle les compagnies ne remboursent pas leurs nouveaux crédits » pour des achats d’avions. Aujourd’hui fixée à six mois, cette facilité de paiement pourrait, à terme, passer à dix-huit mois.

L’autre train de mesures, très attendu par les industriels, concerne le chômage partiel. « Les aides apportées dès le mois de mars continueront à pouvoir être utilisées, notamment en ce qui concerne les prêts garantis par l’Etat et l’évolution du dispositif d’activité partielle », assure M. Le Maire. Le détail de ce dispositif ne sera connu que dans une dizaine de jours à l’issue de la concertation organisée par Muriel Pénicaud avec les partenaires sociaux.

Cadences de production

Outre l’emploi, le gouvernement veut aussi profiter de la crise pour remettre à niveau toute la filière des petites et moyennes entreprises de l’aéronautique. « Nous investirons aux côtés des grands industriels pour renforcer les PME et les ETI, les faire grandir, moderniser les chaînes de production, et les rendre plus compétitives », explique M. Le Maire. Cette fois, le gouvernement ne sera pas le seul à mettre la main à la poche. Deux dispositifs seront actionnés. Le premier sera doté d’ici à l’été d’au moins 500 millions d’euros par l’Etat (200 millions d’euros), quatre grands industriels, Airbus, Safran, Thales et Dassault (200 millions d’euros) et un fonds d’investissement (100 millions d’euros).

L’objectif est qu’à la fin 2020, ce fonds dispose d’environ 1 milliard d’euros pour « soutenir les petites et moyennes entreprises stratégiques ». Notamment celles qui, avant la crise, avaient massivement investi pour suivre les cadences de productions dictées par les grands donneurs d’ordres que sont Airbus et Safran.

Avec ce dispositif, le gouvernement veut aussi « faire échapper ces entreprises à la convoitise de prédateurs étrangers ». Dans le même mouvement, l’Etat va financer 300 millions d’euros sur trois ans « pour accompagner les entreprises fournisseurs et sous-traitantes de la filière dans leurs transformations et leur montée en gamme », souligne le ministre de l’économie et des finances.

Mais l’Etat exige des engagements de la part des industriels en contrepartie de son soutien financier massif. Près de 1,5 milliard d’euros d’aides publiques pour soutenir la recherche et le développement seront investis sur trois ans par le biais du Conseil pour la recherche aéronautique civile. Doté à l’origine de 135 millions d’euros, ce fonds verra sa capacité d’investissements passer à 300 millions d’euros d’ici fin 2020, puis à 600 millions d’euros en 2021 et en 2022. « L’industrie aéronautique française et européenne a un rôle central à jouer dans la décarbonation du trafic aérien mondial », plaide M. Le Maire qui souhaite tenir l’engagement de réduire de 50 % les émissions de gaz carbonique d’ici à 2050.

L’objectif est « de parvenir à un avion neutre en carbone en 2035 au lieu de 2050, notamment grâce au moteur à très haut taux de dilution et au recours à l’hydrogène ». Outre Airbus et consorts qui devront concevoir et produire cet avion du futur plus vert, Air France devra aussi s’engager « dans la transition écologique ». L’Etat exige de la compagnie aérienne qu’elle renouvelle sa flotte en achetant des avions neufs auprès d’Airbus. De même, « pour préserver au maximum les emplois en France », les grands industriels sont convenus d’une charte qui définie les « bonnes pratiques et les relations commerciales » avec leurs fournisseurs. Enfin, le plan de soutien comprend un volet défense. L’Etat devrait augmenter ses dépenses militaires grâce à « 600 millions d’euros de crédits »notamment pour commander des hélicoptères auprès d’Air