Le partenariat NASA-privé

Source Le Monde du 05/12/2020

Le partenariat NASA-privé, un acquis des années Trump

Pierre Barthélémy (Service Sciences)ANALYSE

A l’heure où s’écrit le bilan des années Trump, rares sont les structures gouvernementales américaines à se trouver en meilleur état qu’il y a quatre ans. Dans un paysage de quasi-désolation, la NASA fait figure d’exception, probablement parce que Donald Trump a peu concentré son attention sur elle. Probablement aussi parce qu’elle n’était pas au mieux lors de l’accession au pouvoir du bouillonnant républicain.

En 2016, la première agence spatiale du monde doute, notamment face à la remise en question des vols habités et de l’exploration humaine de l’espace. Depuis 2011 et l’arrêt des navettes, les Etats-Unis, pour envoyer leurs astronautes dans la Station spatiale internationale (ISS), se trouvent dans l’humiliante position d’avoir à acheter aux Russes des places dans leurs capsules Soyouz.

De plus, la NASA manque cruellement d’un cap, d’une feuille de route, car Barack Obama, plus enclin à investir dans le social que dans le spatial, a annulé « Constellation », le programme de retour sur la Lune voulu par son prédécesseur George W. Bush. Ne reste plus dans les cartons que l’hypothétique voyage vers Mars, pas daté, trop lointain pour susciter l’enthousiasme, tant en interne qu’auprès du public.

Dans un secteur qui se banalise au risque de s’affadir, « la NASA a du mal à dramatiser son rôle, résume Xavier Pasco, directeur de la Fondation pour la recherche stratégique et spécialiste du spatial américain. On a l’impression qu’elle devient une pure agence de recherche et développement, tandis que l’esprit d’exploration et l’effort de narration sont du côté des nouveaux industriels de l’espace comme Elon Musk, dont la communication impressionne ». 2016, c’est précisément l’année où SpaceX, la société d’Elon Musk, multiplie les réatterrissages de ses fusées et bouscule l’ordre établi en validant le concept – auquel peu accordaient foi à l’origine – du lanceur réutilisable. Même si Donald Trump n’est pas un fan du spatial ou de la science, même s’il entretient des relations compliquées avec les entrepreneurs du New Space – en plus d’Elon Musk, on trouve Jeff Bezos, le patron d’Amazon, qui est aussi fondateur de la société spatiale privée Blue Origin –, son slogan « Make America great again » trouve dans une NASA déstabilisée, voire morose, un merveilleux terreau où germer et pousser.

Ce regain passe tout d’abord par un regard nostalgique vers l’âge d’or de l’agence spatiale, celui des années 1960 et du programme « Apollo ». Fouetté par la menace intolérable que les Chinois soient les premiers à remettre un pied sur notre satellite et sans doute désireux de laisser une trace à la Kennedy, tout au moins dans l’histoire de la conquête spatiale, Donald Trump lance une nouvelle course à la Lune avec le programme Artemis. Ce que « JFK » avait promis de réaliser en moins de dix ans, le président républicain veut le faire en moins de temps encore. Objectif : voir deux Américains – dont une femme – fouler le sol lunaire en 2024, censée être l’année finale de son second mandat. Pour ce faire, Donald Trump compte sur deux hommes. Le premier n’est rien moins que son vice-président, Mike Pence, placé à la tête du National Space Council, une structure disparue en 1993 et ressuscitée en 2017, avec pour objectif de fixer un cap aux activités spatiales. Mike Pence a réellement investi son rôle, reprenant l’idée que l’espace est affaire de pionniers et l’intégrant dans sa vision presque messianique du destin américain. Le second homme est l’administrateur de la NASA que Donald Trump choisit fin 2017, Jim Bridenstine. Obscur élu républicain de l’Oklahoma à la Chambre des représentants, ce dernier voit sa nomination contestée car il n’est pas d’usage de prendre un politique pour diriger la NASA, mais elle passe finalement au Sénat par le plus faible des écarts (50 voix pour, 49 contre).

Un grand effort national

Malgré cette médiocre entrée en matière, malgré sa réputation de climatosceptique – ce qui n’est pas le meilleur des atouts pour diriger une agence à vocation scientifique –, Jim Bridenstine va déjouer tous les pronostics et se révéler efficace. Son secret : avoir clairement replacé la NASA en tant que chef de file d’un grand effort national au sein duquel les entreprises du New Space sont considérées comme de véritables partenaires et non plus comme des sous-traitants. 

Dans les faits, cela s’est traduit, en 2020, par le premier acheminement d’astronautes de la NASA vers l’ISS à bord d’une capsule privée, le Crew Dragon de SpaceX. Autre concrétisation : le futur module lunaire sera, lui aussi, conçu par une entreprise privée. Cette collaboration entre l’agence gouvernementale et les acteurs du New Space n’est pas nouvelle : elle a été amorcée par George W. Bush et développée par son successeur démocrate. Le bon bilan de l’administration Trump en matière spatiale tient beaucoup au fait que, dans ce secteur, le président républicain n’a pas voulu faire table rase de l’héritage Obama.

Il est néanmoins un domaine qui a souffert ces quatre dernières années, celui de la science menée à la NASA, et notamment la science ayant trait à l’observation de la Terre, dont on a souvent tenté de raboter les budgets. « Il est à peu près certain que Joe Biden, dont l’un des premiers actes sera de réintégrer les Etats-Unis dans l’accord de Paris sur le climat, remettra de l’argent dans ce domaine », assure Xavier Pasco. 

Un rééquilibrage budgétaire qui, selon toute vraisemblance, se fera aux dépens d’Artemis. L’objectif de voir des Américains reposer le pied sur la Lune en 2024 n’était de toute façon pas tenable pour la NASA, ni sur le plan de l’avancée des technologies ni sur celui des finances. Le nouveau président va lui donner un motif honorable pour le repousser dans le temps.