Source : Le Monde du 13-03-2019
Pékin attend l’arrivée du C919, moyen-courrier made in
China
Simon Leplâtre
Les premiers exemplaires construits par
l’avionneur Comac devraient être livrés en 2021 et réduire la dépendance au duo
Airbus-Boeing
SHANGHAÏ, correspondance
Après la catastrophe du Boeing de l’Ethiopian
Airlines, la Chine a été l’un des premiers pays à réagir. Lundi, un jour avant
l’Europe et la France, Pékin a annoncé l’interdiction de vol du Boeing 737 Max.
La décision chinoise est un coup dur pour l’avionneur américain : le pays
représente un cinquième des commandes mondiales pour cet appareil, avec 76
avions livrés à des compagnies chinoises, et 104 commandés, d’après les
chiffres du constructeur américain. Mais elle révèle la dépendance continue des
compagnies chinoises au duopole Boeing-Airbus, pour les long et
moyen-courriers, malgré les efforts du pays pour développer ses propres
appareils. En 2014, le président chinois Xi Jinping avait pourtant souligné
l’importance de produire des avions chinois, afin de ne de pas être « à la
merci des autres ».
Officiellement, le ciel chinois devrait voir
premiers moyen-courriers made in China en 2021. Les premières livraisons du
C919 de l’avionneur chinois Comac devraient intervenir dans deux ans. L’appareil,
un moyen-courrier conçu pour transporter jusqu’à 168 passagers sur 5 500
kilomètres, viendra concurrencer la gamme des A320 d’Airbus et des 737 de
Boeing. De quoi profiter du développement des liaisons aériennes en Chine : le
pays devrait devenir le premier marché mondial pour l’aviation entre 2022 et
2024. Mais l’opportunité commerciale est presque secondaire. Le projet du C919,
surnommé le « grand avion chinois », est un symbole de l’émergence
technologique du pays. Et un défi d’ingénierie, qui montre les limites des
progrès chinois.
L’aviation est l’un des dix secteurs-clés
identifiés par le plan Made in China 2025, ce vaste programme industriel censé
booster les capacités technologiques du pays. A mi-parcours, les objectifs pour
l’aviation paraissent optimistes : le plan adopté en 2015 espérait que les
avions chinois prendraient 10 % de parts de marché domestique en 2025.
Ambitieux, estime Bradley Perrett, directeur du bureau Asie-Pacifique du
magazine spécialisé Aviation Week : « Les difficultés dans le développement du
C919 risquent d’être insurmontables pour atteindre ces objectifs à temps. Même
si les commandes étaient prises en compte et pas les livraisons, cela paraît
très difficile. Le plan est basé sur un calendrier ancien de Comac, d’importants
retards ont été pris. »
Le projet du C919, premier moyen-courrier
chinois, a été lancé en 2008 et visait le début des livraisons pour… 2014.
Point positif, depuis le premier vol d’essai en 2017, Comac n’a toutefois pas
annoncé de nouveaux reports. « Cela suggère de la stabilité dans le programme
», estime Bradley Perrett. Néanmoins, les tests qui se poursuivent pourraient
révéler de nouveaux problèmes. Les retards sur le calendrier initial ne
devraient pas empêcher l’appareil d’atteindre les objectifs fixés par le plan
gouvernemental. Le C919 bénéficiera en effet des avantages d’une économie
dirigée : alors que la certification de l’appareil n’a pas encore commencé,
l’avion compte déjà 815 commandes de 28 compagnies, la plupart chinoises,
d’après l’agence officielle Chine nouvelle.
Les progrès sont lents
Le C919 n’est toutefois qu’une première étape
dans les ambitions chinoises, car il inclut encore 50 % de composants importés,
dont le moteur LEAP, construit par le français Safran en partenariat avec
l’américain General Electric. La prochaine avancée pour l’industrie
aéronautique chinoise est la maîtrise de l’ensemble des technologies-clés. Et
Pékin ne lésine pas sur les moyens pour y parvenir : en 2016, la Chine a
investi 100 milliards de yuans (13,2 milliards d’euros) dans le cadre du plan
Made in China 2025 pour constituer Aero Engine Corporation of China, un groupe
qui rassemble 46 entreprises du secteur et des instituts de recherche, pour
développer un moteur 100 % chinois pour le C919.
Mais les progrès sont lents, de l’aveu même du
président du groupe, Feng Jinzhang. Dans une interview au Quotidien des
sciences et des technologies, une publication officielle, il reconnaissait que
tout était à faire pour les Chinois, quand les entreprises occidentales
développent leurs nouveaux moteurs sur la base des précédents. Il déplorait
aussi le manque d’ingénieurs qualifiés et la difficulté à faire travailler
ensemble les différentes équipes dans ce secteur de pointe. « L’esprit
critique, la recherche de la perfection nous manquent terriblement »,
déplorait-il dans cet article.