Source: Le Monde du 21-07-2019
Boeing face au risque de l’accident industriel
Des Boeing 737 MAX immobilisés au sol à Seattle (Etat de Washington, nord-ouest des Etats-Unis), le 1er juillet. LINDSEY WASSON/REUTERS
Guy Dutheil
Les coûts de l’immobilisation du 737 MAX s’envolent. Les compagnies clientes de l’avionneur souffrent de la situation
Le 737 MAX de Boeing a-t-il encore un avenir ? Chez les compagnies aériennes, comme parmi la chaîne de fournisseurs de l’avion, on en est réduit à prier pour que l’appareil soit de retour dans les airs. Le moyen-courrier américain est immobilisé au sol depuis le 13 mars après deux crashs en moins de six mois, qui ont causé la mort de 346 passagers et membres d’équipage. Il pourrait le rester pendant au moins un an, selon le cabinet de conseil Archery Strategy Consulting (ASC).
De son côté, Boeing ne se risque plus à fixer un agenda précis de reprise des vols de son best-seller, commandé à plus de 5 000 exemplaires. Tout juste se borne-t-il, dans un communiqué publié vendredi 19 juillet, à espérer que « la remise en service du 737 MAX aux Etats-Unis et dans d’autres pays [soit] validée par les autorités compétentes à partir du début du quatrième trimestre 2019 ».
Il faut dire que, depuis que les autorités de régulation du secteur aérien, l’Agence fédérale américaine de l’aviation (FAA) et l’Agence européenne de la sécurité aérienne (EASA), ont décidé de passer le MAX au scanner, elles ne cessent de mettre au jour des problèmes techniques. Ainsi, début juillet, l’EASA a mis le doigt sur une défaillance du pilote automatique. « Maintenant que l’on cherche, on trouve ! », s’exclame le patron d’un fournisseur de premier rang du moyen-courrier de Boeing.
Ces ennuis ruinent la réputation du MAX. « L’avion est en train de s’abîmer en termes de confiance », note Laurent Magnin, PDG de la compagnie française XL Airways et fin connaisseur du transport aérien. Il se refuse toutefois à envisager un retrait définitif de l’appareil. « Arrêter 5 000 avions fabriqués ou livrés, ce serait du jamais-vu ! » En revanche, la mauvaise publicité autour du MAX est telle qu’il n’écarte pas l’idée que l’avion soit contraint de « changer de nom » pour reprendre ses vols commerciaux et ne pas effrayer les passagers.
Certaines compagnies clientes de l’avion ont déjà franchi le pas. Photos à l’appui, le site Internet spécialisé Air Journal a révélé que le transporteur irlandais à bas coûts Ryanair avait commencé à débaptiser ses MAX qui prennent la poussière sur les parkings de l’usine de Boeing à Renton (Etat de Washington, nord-ouest des Etats-Unis). Les futurs passagers ne voleront donc plus sur des MAX, mais sur des 737-8200.
IAG, maison mère de British Airways, ne veut pas davantage entendre parler du MAX, pour ne pas aviver les craintes de ses clients. Mi-juin, lors du Salon du Bourget, près de Paris, il a pris soin de ne pas mentionner l’appareil dans le communiqué annonçant la signature avec Boeing d’une lettre d’intention portant sur une commande géante de MAX.
Réaction en chaîne
Pour le grand public, IAG souhaite seulement acquérir 200 exemplaires d’un moyen-courrier de Boeing propulsé par le moteur LEAP-1B produit par le duo franco-américain Safran-GE. Pourtant, il n’existe qu’un seul avion qui répond à ces caractéristiques : le 737 MAX. Air France est aussi gêné dans sa stratégie. La compagnie doit renouveler et accroître la flotte de Transavia, sa filiale low cost, qui ne fait voler que des 737 d’ancienne génération.
Une des conditions du succès des compagnies à bas coûts est d’opérer un type unique d’avion. Logiquement, Air France devrait donc passer commande de plus d’une centaine de MAX. Mais la compagnie hésite à se lancer. Cette commande serait seulement « en discussion ». « Pour acheter du MAX », Air France dit avoir « besoin d’un consensus de la compagnie, des pilotes et des passagers ».
Le Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL) a lancé, le 12 juillet, un référendum auprès de ses adhérents pour permettre à Air France de développer Transavia. Mais il n’est pas certain que les pilotes acceptent de prendre le manche des MAX. « Cela dépendra des solutions techniques mises en œuvre » pour assurer la sécurité de l’appareil, prévient Vincent Gilles, porte-parole du SNPL.
Les déboires du 737 MAX sont en passe de virer à « l’accident industriel », comme le redoute M. Magnin. L’avionneur américain a sorti la calculatrice. La note atteint déjà les 8 milliards de dollars (7,1 milliards d’euros). Et ce n’est pas fini. D’après ASC, la facture pourrait dépasser les 10 milliards de dollars. C’est le montant exact des bénéfices annuels de Boeing en 2018, mais aussi le coût de la mise en œuvre d’un nouveau programme d’avion. « L’accumulation des mauvaises nouvelles inquiète le public, mais d’abord les compagnies aériennes », se désole le patron de XL Airways. Faute de MAX, « les compagnies ne remplacent plus les vols, elles les annulent ».
Initialement, ce sont les transporteurs d’outre-Atlantique, destinataires de la majorité des 370 MAX livrés avant le 13 mars, qui ont été les premiers à souffrir de l’interdiction de vol de l’avion. American Airlines et Southwest ont déjà annulé des milliers de vols. Mais l’Europe est touchée à son tour. Ryanair a annoncé, le 16 juillet, la fermeture de certaines de ses bases cet hiver et à l’été 2020. La première compagnie low cost du Vieux Continent est l’un des plus gros clients de Boeing, auquel elle a passé commande de 135 MAX, avec une option pour 75 exemplaires supplémentaires.
Le manque d’avion « va réduire la croissance de notre trafic à l’été 2020 à 3 % contre 7 % » prévus à l’origine, estime Michael O’Leary, PDG de Ryanair. Sans ces MAX, la compagnie ne devrait transporter, entre mars 2020 et avril 2021, que 157 millions de passagers contre 162 millions attendus au départ. M. Magnin redoute une réaction en chaîne, avec une « contraction du chiffre d’affaires des compagnies aériennes, mais aussi de la chaîne de fournisseurs ».