La course au “slots” à Orly

Les Echos

Un article paru dans le journal Le Monde du 7-09-2019
PERTES & PROFITS|TRANSPORT AÉRIEN
Malédiction dans l’azur

Par Philippe Escande
L’aigle, roi des volatiles, serait-il comme le phénix légendaire, capable de renaître éternellement de ses cendres ? C’est tout le mal qu’on souhaite à la compagnie Aigle Azur, en redressement judiciaire et qui vient d’annuler l’ensemble de ses vols, sans dédommagement pour ses clients. La deuxième compagnie aérienne française, derrière Air France, s’est écrasée au sol en l’espace d’une petite année alors que tout semblait lui sourire à nouveau.

La société n’a pourtant pas manqué d’entrepreneurs audacieux. Fondée, en 1946, par Sylvain Floirat, l’un des hommes d’affaires les plus inventifs et truculents de l’après-guerre, futur développeur d’Europe 1 et de Matra, Aigle Azur se spécialisera dans les liaisons avec les colonies Françaises, au Maghreb et en Indochine. Il revendra la société dix ans plus tard à son principal concurrent. Elle renaîtra une première fois, en 1970, avant de péricliter à nouveau, puis de repartir en 2001, poussée par l’essor du trafic à destination de l’Afrique du Nord. Elle transporte le quart des passagers entre la France et l’Algérie.

Nouveau coup de mou en 2017. Alors que l’entreprise est au bord du dépôt de bilan, les nouveaux actionnaires, dont l’entrepreneur américano-brésilien David Neeleman et le chinois HNA (Hainan Airlines), installent aux commandes un autre créateur d’entreprises du secteur, Frantz Yvelin, qui avait lancé les sociétés L’Avion et La Compagnie.

Trois calamités

Ce dernier se démène pour renégocier les accords avec les pilotes et s’appuyer sur ses riches actionnaires pour se lancer à la conquête de nouvelles destinations. A tel point qu’en 2018 la réussite semble éclatante. Avec sa douzaine d’avions, la firme s’envole vers Berlin, Moscou, Pékin et Sao Paulo. Le ciel est serein, les avions récents et les perspectives prometteuses.

C’est là que frappe de nouveau la malédiction du transport aérien, avec ses trois calamités habituelles : le dialogue avec les pilotes, la concurrence pléthorique et la conjoncture. Tout cela dans une activité extrêmement capitalistique. Un seul aller-retour à Sao Paulo revient à 250 000 euros. Chaque siège vide ou mal vendu se paie très cher. Une petite hausse du pétrole, une fréquentation touristique en baisse, et c’est toute une trésorerie qui s’évapore aussi vite que le kérosène des réacteurs. Ce qui était un bien devient un mal. Les actionnaires nombreux et complémentaires se tirent dans les pattes au fur et à mesure que leurs intérêts divergent.

Car ce malheur quasi structurel du transport aérien est mondial. Alitalia, Etihad, Norwegian, Jet Airways, on ne compte plus les victimes, autrefois florissantes, d’une activité si séduisante sur un marché tellement porteur qu’il fait la fortune des industriels comme Airbus et Safran, dont les résultats n’ont jamais été aussi éclatants.
Seule différence, sur le marché de l’aviation commerciale, il n’existe que deux constructeurs d’avions et trois fabricants de moteurs dans le monde, pour des milliers de compagnies clientes, et il s’en crée de nouvelles constamment, dont le prix est le principal facteur de différenciation. Pas besoin d’être un aigle, ou un phénix, pour deviner la suite de l’histoire.