Source: Le Monde
Avec le changement climatique, les ouragans devraient être plus lents et plus destructeurs
Clémentine Thiberge
Le réchauffement conduira les cyclones à stagner, occasionnant des pluies torrentielles
Près de 90 morts, 125 milliards de dommages, 200 000 maisons détruites. C’est le bilan de l’ouragan Harvey, qui, en août 2017, a dévasté le Texas et la Louisiane. L’une des raisons pour lesquelles il a été si destructeur est qu’il s’est déplacé de manière inhabituellement lente, et est resté sur la même zone pendant des jours. Avec le changement climatique, ce scénario pourrait devenir beaucoup plus fréquent, selon une étude publiée dans la revue Science Advances mercredi 22 avril.
Une équipe internationale de chercheurs de l’université de Princeton, dans le New Jersey (Etats-Unis), et de l’Institut de recherche météorologique de Tsukuba, au Japon, a cherché à en savoir plus sur le lien entre le changement climatique et ces ouragans « lents ». Ils ont ainsi sélectionné un modèle prévisionnel basé sur une augmentation de la température moyenne de 4 0C – un niveau de réchauffement qui, selon les experts, pourrait être atteint avant la fin du siècle si aucune mesure n’est prise pour limiter les émissions de gaz à effet de serre.
Au total, 90 simulations ont été effectuées sur ce modèle, variant les conditions atmosphériques et océaniques. « Nos simulations suggèrent que le réchauffement anthropique pourrait entraîner un ralentissement significatif du mouvement des ouragans, en particulier dans certaines régions très peuplées des latitudes moyennes, comme le Japon ou la Côte est des Etats-Unis », explique Gan Zhang, chercheur en sciences atmosphériques et océaniques de l’université de Princeton et premier auteur de l’étude. Selon les résultats, le déplacement des ouragans pourrait se réduire d’environ 10 % à 20 % d’ici à la fin du siècle.
Pourquoi les tempêtes ralentiraient-elles ? « Le déplacement des cyclones est lié à la circulation atmosphérique et le changement climatique diminue cette circulation, explique Matthieu Lengaigne, chercheur au Laboratoire d’océanographie et du climat du CNRS. Pour faire simple, on observe deux phénomènes. Dans les tropiques, la température augmente, ce qui a pour effet de stabiliser l’atmosphère. » Les courants seraient donc moins nombreux et moins puissants.« Deuxième chose, on sait que l’Arctique se réchauffe beaucoup plus vite que le reste du globe. Donc le gradient de température entre cette région et les tropiques diminue, ce qui induit une diminution des courants de l’atmosphère. »
« Dans notre étude, lorsque nous parlons d’ouragans lents nous parlons de leur mouvement de translation, précise Gan Zhang. Un ouragan lent peut très bien avoir des vitesses de vents très élevées à l’intérieur de la tempête. » Ainsi, l’ouragan Dorian, qui a frappé l’île de Grand Bahama, dans l’océan Atlantique, en 2019, était un ouragan de catégorie 5 avec des rafales de vent atteignant près de 300 km/h, mais avait une vitesse de translation de seulement 2 km/h lorsqu’il a touché l’île. « Au moment de reprendre sa course vers les Etats-Unis il se déplaçait à 7 km/h, contre 15 à 25 km/h pour la plupart des ouragans », poursuit le chercheur.
Les conséquences de ce ralentissement des cyclones devraient être importantes. « Lorsque la vitesse des cyclones diminue de 15 %, leur puissance destructrice augmente de 15 %, explique Matthieu Lengaigne. Et plus les cyclones sont lents, plus ils déchargent de vents et de précipitations. » Lorsque des ouragans s’attardent autour d’un endroit spécifique, leur séjour prolongé multiplie les dégâts. L’ouragan Harvey a ainsi entraîné des précipitations supérieures à 1 000 millimètres, soit l’équivalent d’une année de pluie, en quelques jours, et a submergé l’infrastructure locale. « Une telle accumulation de précipitations est peu probable lorsqu’un ouragan s’éloigne rapidement », précise Gan Zhang.
Selon le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, plusieurs corrélations entre le changement climatique et les ouragans sont déjà établies. « Premièrement, le nombre de cyclones à forte intensité devrait croître de 15 % d’ici à la fin du siècle. Ensuite, les précipitations associées aux cyclones devraient elles aussi augmenter de 15 % à 20 %, détaille M. Lengaigne. Nous savons que les cyclones se déplacent petit à petit vers les pôles. Des régions qui n’ont pas l’habitude de faire face à ces événements climatiques vont devoir désormais prendre en compte ce risque. »
Le consensus est là : les ouragans vont causer de plus en plus de dégâts. « Il est donc important, non seulement de travailler à réduire les émissions de gaz à effet de serre,alerte Gan Zhang, mais également de prendre des précautions dans le développement côtier et l’urbanisme. Par exemple, le développement de logements dans la zone inondable de Houston a été questionné après Harvey. Chaque région va devoir faire face à des défis uniques. C’est pour cela que nous devons évaluer les risques le plus précisément possible pour trouver des solutions adaptées. »