Source Le Monde des Sciences 2020/07/07
Chine et Russie ne comptent pas se laisser distancer
P. B.
En relançant un ambitieux programme lunaire et en retrouvant leur autonomie dans le vol habité avec le lancement de la capsule Crew Dragon fin mai, les Etats-Unis montrent qu’ils ont fermement remis le cap vers l’espace. Comme le ciel constitue le prolongement du terrain de jeu d’influences qu’est la Terre, la Chine et la Russie viennent tour à tour de manifester leur intention de ne pas se laisser – trop – distancer.
Fin mai, Zhou Jianping, le concepteur du programme des vols habités chinois, s’est ainsi exprimé, en marge d’une réunion politique à Pékin, pour affirmer que la construction de la station spatiale chinoise commencerait en 2021, avec le lancement du module central, et s’étalerait sur deux ans. Contrairement à Tiangong-1 et 2, qui étaient davantage des prototypes que de véritables stations, Tiangong-3 devrait être occupée en permanence par des équipages de trois personnes se relayant tous les six mois.
Son assemblage était suspendu au sort du lanceur lourd Longue Marche-5, le seul capable, dans la gamme des fusées chinoises, de satelliser les trois gros « bidons » qui formeront l’ossature de la station. Longue Marche-5 a en effet connu plus de deux ans d’arrêt après un tir raté en juillet 2017. Deux décollages réussis, l’un en décembre 2019 et l’autre en mai dernier, ont rassuré les autorités chinoises sur sa fiabilité. Lors de sa prise de parole, Zhou Jianping a également annoncé que la sélection du troisième groupe d’astronautes chinois, qui comprendra des ingénieurs et des scientifiques en plus des traditionnels pilotes de chasse, se terminerait en juillet.
Longue Marche-5 devrait être sollicité deux fois en 2020 pour d’importantes missions d’exploration. Tout d’abord en juillet, afin de lancer vers Mars un ambitieux trio spatial formé d’un orbiteur, d’un atterrisseur et d’un petit rover. Quant à la seconde mission, Chang’e-5, prévue à la fin de l’année, elle sera la continuation du programme lunaire chinois. Après avoir posé deux astromobiles sur notre satellite, l’une sur sa face visible en 2013, l’autre sur sa face cachée en 2019, Pékin passe à la phase suivante, celle du retour d’échantillons. Chang’e-5 est un atterrisseur qui se posera dans la région lunaire connue sous le nom d’océan des Tempêtes. Des échantillons de sols seront prélevés et placés dans un module de remontée qui décollera pour se mettre en orbite lunaire, où il aura rendez-vous avec la capsule qui rapportera ensuite le précieux chargement sur Terre.
Le glorieux héritage soviétique
Si cette mission complexe réussit, la Chine sera la troisième nation à récupérer du matériau sélène. Les derniers à l’avoir fait sont… les Soviétiques, avec la mission Luna-24 en 1976. Leurs héritiers russes, désireux de renouer avec leur glorieux passé spatial, ont ressuscité le programme Luna de l’URSS et prévoient d’envoyer Luna-25 en 2021. Il s’agirait d’une relance modeste avec juste un atterrisseur, doté de peu d’instruments scientifiques et avant tout destinée à « réapprendre » les techniques d’alunissage. L’idée consisterait à monter ensuite en puissance au fil de la décennie 2020, avec les missions Luna-26, 27 et 28, la dernière étant censée rapporter des échantillons.
Toutefois, même si Moscou remet sur les rails son programme lunaire et compte, comme l’a rappelé, le 31 mai, le porte-parole de l’agence spatiale russe, reprendre les tirs de son nouveau lanceur lourd Angara, qui n’a pas volé depuis 2014, tout cela ressemble à un cache-misère et paraît dérisoire au regard des ambitions spatiales américaines et chinoises. Comme nous le confiait récemment Isabelle Sourbès-Verger, directrice de recherches au CNRS et spécialiste des politiques spatiales, le problème de la Russie « est qu’elle n’a pas de grand programme national dans le spatial habité ni le budget pour en avoir un ».