Source: Le Monde
PERTES & PROFITS|TRANSPORT
Alitalia : un zombie atterrit en Allemagne
Par Philippe Escande
Le 25 août 1960, le miracle italien s’expose au monde en organisant les Jeux olympiques pour la première fois de son histoire. Et ce miracle a des ailes. Alitalia, fondé en 1947, est en train de devenir l’une des plus grandes compagnies aériennes d’Europe. Dix ans plus tard elle est la première entièrement équipée d’avions à réaction et transporte l’Italie sur tous les continents. Mais le miracle s’est progressivement évaporé dans les nuages des crises à répétition de la fin du XXe siècle. Structurellement en perte depuis la fin des années 1990, la société n’a plus gagné un centime depuis 2000 et à fini par disparaître le 15 octobre 2021, rongée par les erreurs de gestion, les surinvestissements et les grèves à répétition.
Case faillite
Mais on ne disparaît jamais tout à fait dans le monde magique de l’aérien. Rebaptisée « Italia Transporto Aereo » (ITA), la société, sous contrôle de l’Etat italien, est en passe d’être vendue à l’allemand Lufthansa et à l’armateur italo-suisse MSC. Enfin, ce qu’il en reste, c’est-à-dire une start-up de 50 avions et 2 800 employés contre 11 000 personnes en 2017 quand les pilotes ont rejeté le énième plan de restructuration qui prévoyait 1 700 départs. Le président du conseil, Mario Draghi, va-t-il réussir dans ce domaine aussi, là où ses prédécesseurs se sont cassé les dents depuis plus de vingt ans. Ils ont pourtant dépensé au total plus de 13 milliards d’euros, ont tenté des mariages avec la terre entière, sans se débarrasser du problème qui leur collait au doigt comme le sparadrap du capitaine Haddock assis sur son siège d’avion. Pour y parvenir, il a fait passer l’entreprise par la case faillite et fait émerger une start-up en allant chercher un lieutenant de Sergio Marchionne, le défunt patron emblématique de Fiat. Alfredo Altavilla a passé commande de nouveaux avions, grâce à une nouvelle aide de 700 millions d’euros de l’Etat et est parti à la recherche de « partenaires ». Lufthansa, à peine remis de la crise Covid (il a remboursé ses aides d’Etat), devrait ajouter ITA à sa collection de compagnies européennes aux côtés des pavillons autrichien, suisse ou belge.
De son côté, le transporteur MSC, riche comme Cresus avec l’envolée des tarifs du fret maritime, se diversifie à peu de frais, pour l’instant, dans le fret aérien. Il est également en négociation avec le groupe Bolloré pour lui reprendre ses activités portuaires et logistiques en Afrique.
Audacieux mais prudents, les deux repreneurs se sont empressés de demander à l’Etat italien de rester, même minoritaire, au capital de l’entreprise. Ils savent qu’il est préférable de ne pas couper les ponts avec la « mère » nourricière. Celle-ci a soutenu à bout de bras sa « fille » durant si longtemps, contre toute logique économique pour un Etat déjà surendetté et alors que les compagnies étrangères, comme Ryanair, easyJet ou Wizz saturent déjà ses aéroports. Mais, comme le reconnaît Mario Draghi, que l’on avait connu moins sentimental : « J’ai toujours considéré Alitalia comme un membre de ma famille. » Un sentiment que partagent beaucoup d’Italiens mais qui n’empêche pas de regarder la réalité en face. Il est plus que temps de tourner la page et de reconnaître que le pavillon italien n’est plus capable depuis longtemps de voler de ses propres ailes.
Les Echos