SCaF: un accord avec un report en 2029

Le Monde du 03/12/22

La construction du prototype de l’appareil conçu par Dassault Aviation et Airbus est reportée à 2029

Jean-Michel Bezat Et Élise Vincent

Après l’accord politique annoncé par Berlin et l’Elysée, le 18 novembre, puis dix jours de long silence, l’avionneur français Dassault a finalement confirmé, jeudi 1er décembre, qu’il était prêt à passer à la contractualisation avec Airbus pour la phase devant mener à la construction d’un prototype du futur avion de combat européen, dit « SCAF » (système de combat aérien du futur).

Un « go » arraché sous la pression, qui vient redonner du souffle à la coopération franco-allemande en matière d’armement, tout en dégageant en partie l’horizon côté français en matière de programmation militaire. « Oui, aujourd’hui c’est fait. Nous avons un accord avec Airbus. Tous les blocages ont été levés », a déclaré, Eric Trappier, le PDG de Dassault Aviation, au Figaro, le quotidien dont son groupe est propriétaire.

Même s’il reste encore à signer formellement les contrats d’ici quelques jours, cette déclaration publique du numéro un de l’avionneur français – considéré par les experts comme la partie ayant le plus à perdre dans le SCAF – vaut garantie de relance de ce projet d’avion de chasse de sixième génération censé remplacer, à l’horizon 2040, le Rafale français de Dassault Aviation et l’Eurofighter Typhoon d’Airbus.

Le contenu précis de l’accord n’a pas été dévoilé par M. Trappier. Depuis de longs mois, l’enlisement du SCAF – programme franco-allemand lancé en 2017 et rejoint par l’Espagne en 2019 – était beaucoup attribué au souci de Dassault de conserver ses secrets industriels sur un certain nombre de briques technologiques, notamment les commandes de vol. Mais, officiellement, l’avionneur n’a rien lâché.*

Désaccord sur les exportations

Le groupe est « confirmé » dans son « rôle de maître d’œuvre et d’architecte de l’avion », et a « obtenu la protection de [son] savoir-faire industriel et de [ses] technologies », a assuré son patron. Le PDG de Dassault Aviation a toutefois précisé que la liberté d’exporter le SCAF n’était pas encore garantie. Un point de désaccord important entre Paris et Berlin, l’Allemagne ayant une politique d’exportation des armements bien plus restrictive que Paris.

« Cet accord industriel global représente une grande avancée pour ce programme-phare européen de défense, a sobrement réagi Michael Schoellhorn, le patron d’Airbus Defence and Space. Cela ouvre la voie à la signature d’un contrat final entre les pays et les partenaires industriels (…). Nous sommes confiants que cela puisse être fait dans un très proche avenir. »

L’avancée du SCAF permet à un autre projet franco-allemand de sortir du tunnel : le « char du futur », aussi appelé MGCS (pour Main Ground Combat System). C’est en tout cas ce que plusieurs sources proches du dossier ont indiqué au Monde, confirmant une information publiée fin novembre par le média La Tribune. Lancé, comme le SCAF, en 2017, le MGCS, qui associe le français Nexter et l’allemand Rheinmetall, vise à remplacer le char Leclerc français et le Leopard 2 allemand à l’horizon 2035-2040.

Malgré le lancement d’études en 2020, ce projet était pratiquement à l’arrêt, l’Allemagne n’ayant pas la même urgence à remplacer ces chars que la France. Or, le Bundestag allemand a toujours exigé que le SCAF et le MGCS progressent en parallèle, le premier étant sous pilotage principalement français, le second allemand.

Les discussions sur le MGCS pourraient, elles, aboutir à un autre accord d’ici à la fin de l’année, selon certaines sources. Et ce même si le « char du futur » est, comme le SCAF, un projet complexe, où les questions de leadership industriel sont soumises à des arbitrages pesés au trébuchet. Dans le cas du MGCS, il faut réussir à trancher la répartition de pas moins de treize domaines de compétences – aussi appelé MTD (Main Technical Demonstrator) – qui vont du blindage aux munitions, à la navigation, la tourelle ou le canon du char, principal point de litige public.

La relance du SCAF et du MGCS se veut en tout cas une bonne nouvelle pour l’agenda diplomatique franco-allemand, à quelques semaines du soixantième anniversaire du traité de l’Elysée. Signé en janvier 1963 par le général de Gaulle et le chancelier Konrad Adenauer, il visait, en pleine guerre froide, à rapprocher la France et l’Allemagne. Paris et Berlin tenaient à faire de cette date une occasion d’afficher un semblant de réchauffement bilatéral. Leur relation est très tendue depuis le début du conflit ukrainien, en raison de la volonté de l’Allemagne de rattraper au plus vite son retard militaire, quitte à s’asseoir sur la souveraineté européenne chère à la France.

L’accord sur le SCAF, dont s’est « félicité » le ministre des armées, Sébastien Lecornu, donne par ailleurs de nouvelles perspectives aux discussions, très tendues actuellement, menées sur la loi de programmation militaire (LPM). Les arbitrages sur ce texte, qui doit être présenté début 2023 et est censé planifier les investissements militaires jusqu’en 2030, sont aujourd’hui plombés par de nombreuses incertitudes stratégiques, ainsi que par l’explosion des coûts de l’énergie et l’inflation.

Bouclier antimissile

Des facteurs qui, rien qu’en 2023, selon les prévisions actuelles, pourraient amputer de plus de 400 millions d’euros le budget des armées, sur une enveloppe globale de 43,9 milliards. Or, dans son interview, M. Trappier précise que la construction du prototype du SCAF attendrait désormais 2029. Un nouveau recul tout sauf anodin. Jusqu’à il y a quelques semaines, c’est l’échéance de 2027 qui faisait encore référence.

Or, ces deux ans de décalage faisaient partie des pistes d’économies de l’exécutif pour réussir à financer toutes les ambitions des armées dans la future LPM. L’accord entre Dassault et Airbus sur la phase dite « 1B » du SCAF – dont le financement est acté à hauteur de 3,6 milliards d’euros – apparaît donc aussi comme un savant moyen d’éviter l’arrêt brutal du projet que redoutait l’armée de l’air, tout en poursuivant les études sur les briques technologiques les plus pointues, notamment le cloud de combat.

Le souci de Berlin et Paris de se donner mutuellement des gages de bonne volonté sur le SCAF et le MGCS apparaît aussi avoir indirectement des répercussions sur le bouclier antimissile européen, annoncé mi-octobre par l’Allemagne. Alors que la France avait décidé de ne pas participer à ce projet associant quatorze pays alliés de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord, la partie allemande laisse désormais entendre que la porte n’est plus fermée aux Français. « Il n’y a pas de décision finale sur les systèmes qu’on va commander, ce système est ouvert à la participation de la France », appuie une source diplomatique.

Ce bouclier antimissile vise à former une sorte de « bulle multicouche », afin de protéger les pays concernés d’éventuelles attaques de missiles ou de drones. Selon les déclarations initiales, il devait notamment passer par l’achat de systèmes IRIS-T d’une portée d’une trentaine de kilomètres, développés par l’entreprise allemande Diehl BGT Defence, et de systèmes Patriot, fabriqués par l’américain Raytheon, capables d’assurer une protection jusqu’à 200 kilomètres.

Cette architecture pourrait aussi être complétée par l’Arrow 3, un système israélien qui permet d’assurer une bulle de 2 400 kilomètres de rayon. Or, la France développe, depuis 2021, avec l’Italie, une nouvelle version de son système de défense aérienne sol-air de moyenne portée, dit « SAMP/T », aussi connu sous le nom de « Mamba »d’une portée de 120 kilomètres. Il est actuellement utilisé en Roumanie.