Malgré les obstacles, Amazon croit à la livraison par drone
Le leader mondial de l’e-commerce a lancé un service dans deux petites villes des Etats-Unis, et vise 500 millions de colis en 2030
Alexandre Piquard
Le Monde daté du 9/01/2023
Il y a quelques semaines, avant les fêtes de fin d’année, Amazon a pour la première fois livré des clients par drone. Baptisée Amazon Prime Air, la possibilité de recevoir un colis par le biais d’un engin volant – et non des mains d’un livreur – est offerte depuis peu par le leader de l’e-commerce dans deux petites villes des Etats-Unis, Lockeford en Californie et College Station au Texas, ont rapporté le site Ars Technica et une chaîne locale. Ce déploiement fait partie d’une offensive d’Amazon sur la livraison par drone. Un défi ardu et ancien, mais, depuis quelques semaines, l’entreprise tient de nouveau un discours ambitieux.
Les livraisons de Prime Air sont assurées « en moins d’une heure » par un drone hexagonal à six hélices, électrique et sans pilote, qui pèse 35 kilos et vole entre 60 et 120 mètres d’altitude. Le client désigne un lieu de dépôt : « Cela peut être n’importe où sur sa propriété, par exemple dans son jardin ou sur son parking, ou dans un autre lieu public, comme une cour d’immeuble ou un parc proche », explique Calsee Hendrickson, senior manageur de Prime Air chargée de la technologie et de la production. Le drone reste en vol stationnaire sans se poser puis lâche le paquet.
« Le client n’est pas obligé d’être présent », ajoute Mme Hendrickson. L’engin peut livrer des colis jusqu’à 2,5 kilos, soit « 85 % de l’inventaire »d’Amazon, et, pour l’heure, « quelques milliers » d’articles, parmi les plus commandés, sont éligibles. « Amazon Prime Air vise 500 millions de livraisons annuelles par drone pour des dizaines de millions de clients d’ici à 2030 », y compris dans des grandes villes comme Boston, Atlanta ou Seattle, a annoncé l’entreprise, le 10 novembre, lors d’une visite d’un laboratoire d’innovation près de Boston, où s’exprimait Mme Hendrickson. « Les drones sont le moyen le plus efficace de servir des clients en moins d’une heure et, à terme, de trente minutes », croit Amazon.
Cet affichage d’objectifs volontaristes – mais lointains – contraste avec les difficultés rencontrées jusqu’ici pour utiliser dans le commerce électronique ces aéronefs d’un nouveau genre. La livraison par drone ressemble en effet à un serpent de mer. Dès 2013, Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon, dévoile dans le magazine 60 Minutes un premier prototype maison, espérant un service « d’ici quatre ou cinq ans ». A partir de 2016, des tests sont menés au Royaume-Uni et largement relayés dans la presse. En 2019, un cadre d’Amazon prédit une ouverture « dans quelques mois ».
Plusieurs crashs
Au total, l’entreprise aurait déjà dépensé près de 2 milliards de dollars et employé jusqu’à 1 000 personnes sur ce projet. Mais elle reste encore loin de pouvoir le déployer à large échelle, selon une enquête de l’agence Bloomberg parue en avril 2022. Amazon n’est qu’un des quatre opérateurs ayant reçu les autorisations adéquates aux Etats-Unis. Et aucun d’entre eux n’est très avancé. Ouvert en Arkansas depuis novembre 2021, le service du géant américain de la grande distribution Walmart a été étendu en décembre à des magasins d’Arizona, de Floride et du Texas. Les drones de Wing, filiale de Google, assurent depuis avril 2022 des livraisons pour des magasins autour de Dallas, au Texas, ainsi qu’en Finlande et en Australie. Le transporteur UPS a aussi un projet. Au Royaume-Uni, l’opérateur télécoms britannique BT vient d’investir dans une start-up espérant créer une « autoroute » dévolue aux drones, rapportent Les Echos.
Les obstacles restent nombreux. Les drones livreurs d’Amazon sont pour l’heure bornés à des petites villes ou des zones rurales, où les habitants ont plus souvent des jardins. A Lockeford et College Station, ils n’opèrent que dans un rayon de 6,5 kilomètres (leur capacité maximale est de 12 kilomètres). Et ils ne volent que par temps sec – le prochain modèle, attendu en 2024, pourra braver une « pluie légère ». Equipés d’un système« unique » pour détecter et éviter les obstacles, ils restent pour l’heure supervisés par un humain, à distance – ceux de Walmart sont pilotés par des employés et limités à un rayon de 1,5 kilomètre.
La lenteur du décollage de cette innovation est justifiée par la recherche du « bon niveau de sécurité », justifie Mme Hendrickson, une ancienne de l’industrie aéronautique « où dix ans de développement, ce n’est pas considéré comme très long ». Amazon a connu lors de ses tests plusieurs crashs, dont l’un a occasionné l’incendie de 10 hectares de broussailles dans l’Oregon, mi-2021, ont rapporté Insider and Bloomberg. Et l’environnement réglementaire n’est pas stabilisé.
« Aujourd’hui, les règles sont édictées en même temps que les drones », reconnaît Mme Hendrickson, espérant que les autorités « clarifient » le chemin. Enfin, Amazon et ses concurrents devront résoudre une dernière équation, économique, pour s’assurer que ces livraisons par drones soient un jour concurrentielles, face à leurs équivalents terrestres, facturés quelques euros.
Ces barrières – et les questions sur la pertinence de se faire livrer en moins d’une heure – n’érodent pas la confiance de David Carbon, vice-président chargé de Prime Air. « Les gens voudront toujours de la vitesse. Ils ne nous demanderont jamais de livrer plus lentement », a-t-il asséné à Boston, rappelant que Prime paraissait aussi décalé en promettant une expédition en deux jours, à son lancement… « il y a dix-sept ans ».