Crash d’un Super Puma en Ukraine

Le Monde du 20/01/23

A Kiev, enquête sur le crash ayant tué le ministre de l’intérieur

L’hélicoptère de Denys Monastyrsky transportait aussi ses proches collaborateurs

Emmanuel Grynszpan Et Faustine Vincent

Un hélicoptère transportant le ministre de l’intérieur ukrainien, Denys Monastyrsky, et plusieurs membres de son cabinet s’est écrasé, mercredi 18 janvier au matin, à côté d’une école maternelle dans la ville de Brovary, au nord-est de Kiev. Un important incendie s’est immédiatement déclaré dans le bâtiment. Au moins quatorze personnes, dont un enfant, ont péri dans la catastrophe. Les neuf occupants de l’hélicoptère, dont le premier adjoint du ministre, Yevgeny Yenin, et le secrétaire d’Etat, Iouri Loubkovitch, ont été tués. Vingt-cinq personnes, dont onze enfants, ont également été blessées.

Les causes de l’accident sont encore floues. L’hélicoptère, un Super Puma, s’est écrasé un matin brumeux dans une région éloignée des zones de combat, et à plus de 90 kilomètres du territoire biélorusse, où sont déployées les forces militaires les plus proches. Aucune alerte antiaérienne n’avait retenti avant le crash.

Les autorités ukrainiennes ont ouvert une enquête. Les services de sécurité d’Ukraine (SBU) examinent trois pistes principales : une violation des règles de vol (une erreur du pilote), un dysfonctionnement technique ou un sabotage. Selon des données préliminaires, la cause de l’accident pourrait être le brouillard. Le pilote n’aurait pas vu à temps un immeuble de grande hauteur et aurait tenté de l’éviter en prenant brusquement de l’altitude, ce qui aurait entraîné une perte de contrôle de l’appareil. Iouri Ihnat, porte-parole du commandement des forces aériennes de l’armée ukrainienne, a prévenu que l’enquête prendrait du temps.

« Honnête » et « patriote »

Les images filmées par des témoins suggèrent que l’hélicoptère s’est désagrégé en s’écrasant : l’un des fragments est tombé sur l’école maternelle, et la plus grande partie de la machine s’est effondrée sur la parcelle d’une maison. Selon la chaîne de télévision régionale Magnolia, l’hélicoptère a vraisemblablement touché le bâtiment de l’école lors du crash, avant de terminer sa course au pied d’un immeuble. Des vidéos montrent des flammes embrasant un vaste espace entre deux barres d’immeubles au milieu desquels se trouve l’école. Des cris émergent des décombres. Ces images ne sont pas sans rappeler celles de la frappe russe sur Dnipro trois jours plus tôt, qui a détruit tout un immeuble et provoqué la mort de quarante-cinq personnes, dont six enfants.

Les hauts fonctionnaires ukrainiens se déplacent régulièrement en hélicoptère, souvent à basse altitude et à grande vitesse. L’appareil se dirigeait vers un « point chaud » où les combats se poursuivent, selon le chef adjoint du bureau du président, Kyril Timochenko, en l’occurrence dans la région de Kharkiv, à l’est.

La catastrophe pourrait inciter les autorités ukrainiennes à revoir les règles de sécurité. D’une part, les conditions météorologiques étaient très défavorables pour un vol à basse altitude. D’autre part, la mort du ministre de l’intérieur et de ses collaborateurs en temps de guerre pourrait inciter Kiev à adopter la règle existant dans de nombreux pays européens, qui consiste à ne pas faire voler plusieurs hauts responsables dans le même appareil.

Denys Monastyrsky, 42 ans, est le plus haut responsable à mourir depuis le début de l’invasion russe, le 24 février 2022. Son décès brutal a provoqué une vague d’émotion dans le pays et à l’étranger. Salué comme un dirigeant « honnête »« humain » et « patriote », il incarnait la nouvelle génération de responsables ukrainiens – loin de l’héritage postsoviétique corrompu – arrivés au pouvoir après la révolution pro-européenne de Maïdan, et notamment après l’élection de Volodymyr Zelensky, en 2019.

Une « terrible tragédie »

Originaire de la région de Khmelnytsky, Denys Monastyrsky, marié et père de deux enfants, a fait des études de droit et occupé un poste de professeur avant de travailler comme juriste dans des groupes privés, puis comme expert dans un centre d’analyse à Kiev. Dénué d’expérience politique, il a été élu au Parlement en 2019 sur la liste du parti présidentiel, Serviteur du peuple, avant d’être nommé ministre de l’intérieur en juillet 2021, en remplacement de son prédécesseur, Arsen Avakov, un personnage aussi influent que controversé.

Dans la nuit du 23 au 24 février, c’est Denys Monastyrsky qui, le premier, a informé Volodymyr Zelensky que les troupes russes avaient envahi l’Ukraine. « Ça a commencé », a lancé le ministre au président. « Quoi exactement ? », a rétorqué le chef de l’Etat, selon l’échange retranscrit dans le Washington Post lors d’une interview avec le ministre. Denys Monastyrsky a mentionné les « attaques dans différents endroits en même temps ». Mercredi, Volodymyr Zelensky a déploré une « terrible tragédie » après l’annonce de l’accident. Lors de son adresse par vidéo au Forum économique mondial de Davos, en Suisse, il a déclaré que le crash avait un lien avec le conflit. « Ce n’est pas un accident parce que c’est dû à la guerre et la guerre a de nombreuses dimensions, pas seulement sur les champs de bataille », a-t-il affirmé, après avoir demandé de se joindre à lui pour observer une minute de silence en hommage aux victimes. « Il n’y a pas d’accidents en temps de guerre. Ce sont tous des résultats de la guerre. »

Le président français, Emmanuel Macron, son homologue américain, Joe Biden, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et le président du Conseil européen, Charles Michel, ont envoyé leurs condoléances. Ce dernier a regretté la perte d’« un grand ami de l’UE [Union européenne] ». Denys Monastyrsky était responsable de la police et des services d’urgence, un poste-clé en temps de guerre, puisqu’il permet de traiter les conséquences des frappes russes et le déminage. Le chef de la police nationale, Ihor Klymenko, a été nommé ministre de l’intérieur par intérim.