L’arrivée de la compagnie Norse relance la bataille de l’Atlantique
Les routes aériennes entre l’Europe et les Etats-Unis sont parmi les plus rentables, et la nouvelle entreprise norvégienne compte en profiter
Guy Dutheil- Le Monde du 29/03/2023
C’est une véritable ruée ! Maintenant que la pandémie semble appartenir au passé, les compagnies aériennes retrouvent des couleurs. L’Atlantique Nord a leurs faveurs : dimanche 26 mars, la toute nouvelle compagnie norvégienne Norse Atlantic Airways a effectué son vol inaugural depuis Paris pour rejoindre New York. L’arrivée de Norse marque la reprise, post Covid, de la bataille de l’Atlantique. En effet, les destinations entre l’Europe et l’Amérique du Nord sont les plus rémunératrices au monde pour les transporteurs aériens. A l’exemple de la co-entreprise sur l’Atlantique Nord entre Air France-KLM et l’américaine Delta Airlines qui, en 2019, dernière année avant la pandémie de Covid-19, a généré le chiffre d’affaires faramineux de 13 milliards de dollars (environ 12 milliards d’euros). La route Londres-New York a rapporté à elle seule plus d’un milliard de dollars à British Airways.
Norse veut évidement sa part de cette gigantesque manne. La petite compagnie à bas coûts s’est lancée il y a tout juste neuf mois. Elle a été créée, en juin 2022, par Bjorn Tore Larsen. Cet homme d’affaires norvégien de 55 ans a fait fortune dans le transport maritime, en construisant et en louant des navires marchands et des équipages. Un véritable self-made man qui rêvait d’être pilote de chasse mais qui a quitté le lycée à 16 ans pour s’engager comme mousse dans la marine marchande.
Deux années à naviguer avant de lancer une agence de voyages puis de monter, en 1999, sa propre compagnie de transport maritime. En plus petit, une sorte de CMA CGM scandinave. Justement, le français, numéro trois mondial du transport de fret maritime, a lui aussi décidé de se lancer dans l’aérien en prenant, en mai 2022, 9 % du capital d’Air France-KLM.
En commercant avisé, Bjorn Tore Larsen a su tirer parti des opportunités nées pendant la pandémie. « A cette époque, la location des avions était très peu chère », se souvient le fondateur et PDG de Norse. Avec un transport aérien cloué au sol, les constructeurs Airbus et Boeing, ainsi que les loueurs d’avions se sont retrouvés avec des centaines d’appareils à ne savoir qu’en faire.
« Un très bon prix »
Surtout, M. Larsen a fait son miel de la déconfiture de Norwegian. La compagnie, qui s’était lancée dans le long-courrier low cost entre l’Amérique du Nord et l’Europe, n’a pas réussi à passer la crise. Elle a fait faillite au début 2021 en affichant une perte de plus de 2 milliards d’euros. Norwegian avait été plombée par les inconséquences stratégiques de sa direction et sa boulimie d’achats d’avions. Elle en avait commandé plusieurs centaines auprès d’Airbus et de Boeing.
« A la fin nous en recevions un par mois et nous ne savions plus quoi en faire », raconte Philip Allport, ancien cadre dirigeant de Norwegian, aujourd’hui directeur de la communication de Norse. « Nous avons repris quinze avions à Norwegian. Nous avons eu un très bon prix pour ces appareils », admet le fondateur de Norse. Instruit des malheurs de Norwegian, M. Larsen ne veut pas reproduire les mêmes erreurs. Il s’est quand même fait un peu violence pour se lancer dans l’aventure Norse. « Je n’avais jamais voulu diriger une compagnie aérienne car c’est le meilleur moyen de perdre de l’argent », fait-il savoir dans un sourire. Mais celui qui a été « pilote pendant vingt ans et a même obtenu la licence pour tenir les commandes d’un 747 » avoue, que lorsqu’il a décidé de se lancer dans le transport aérien, il n’a « pas eu peur en janvier 2021 car j’ai toujours pensé que les gens voudraient voyager à nouveau. Quand Norwegian a fait faillite, j’ai pensé que c’était le bon moment pour lancer une compagnie ».
Avec Norse, il connaît des débuts modestes. Après avoir ouvert une ligne, en juin 2022, entre Oslo et New York, il a étoffé son offre depuis Berlin, et Londres toujours en direction de la grosse pomme. Après le vol quotidien depuis Paris, Norse à prévu de décoller aussi depuis Rome. Aux Etats-Unis, la jeune compagnie devrait prochainement ajouter des routes vers Los Angeles, Fort Lauderdale (Floride), Washington, Boston ou encore San Francisco.
Pour assurer son économie, Norse « vise le marché des loisirs, les touristes, pas les hommes d’affaires », précise Bjorn Tore Larsen. Surtout, la petite compagnie « volera là où les gens veulent aller. C’est-à-dire vers la chaleur, la Floride, les Caraïbes », annonce le PDG. Quitte à ouvrir surtout des ligne saisonnières. Les débuts semblent réussis. « Nous allons gagner de l’argent dès le deuxième semestre 2023 », prévoit le fondateur. Une gageure, car le marché semble très encombré.
Outre Air France, Air Caraïbes et La Compagnie, Norse vient de voir arriver la redoutable concurence de JetBlue, la très grosse compagnie à bas coûts américaine. Avec sa flotte composée notamment du tout nouveau A321 LR, le dernier né d’Airbus aux performances de long-courrier avec des coûts de moyen-courrier, l’américaine compte bien se tailler une place au soleil de l’Atlantique Nord. Elle a déjà ouvert les réservations pour ses premiers vols pour New York qui débuteront en juin au départ et à l’arrivée à Roissy.
Petit Poucet sur un marché de géants, Norse aura fort à faire pour tirer son épingle du jeu. Ainsi, manière de « saluer » son arrivée, Air France a baissé ses tarifs avec un Paris-New York au prix agressif de 400 euros. Le résultat ne s’est pas fait attendre. Pour son premier vol, au départ de Paris, dimanche, le Dreamliner de Norse n’était rempli qu’à 75 %. Mais le nouvel entrant a anticipé cette rivalité. Norse compte sur le fret, notamment l’or rose de Norvège, le saumon, pour remplir ses cales et parer à la risposte de ses concurrentes.