La Chine risque de rafler les secrets français de l’hydravion à foils
Une start-up savoyarde a créé un appareil capable de se poser sur mer agitée
Guy Dutheil. Le Monde du 3/05/2023
Ne pas permettre qu’une pépite française à la pointe de la technologie parte à l’étranger… C’est tout le combat mené par Hydroptère 2.0, une petite société nantaise spécialisée dans la recherche aéronautique et navale. Depuis plusieurs mois, Gabriel Terrasse, son PDG, bataille pour maintenir sous pavillon français les actifs de l’entreprise savoyarde Lisa Airplanes.
Or, mi-2022, cette jeune pousse a réalisé une première mondiale : un prototype d’hydravion baptisé Akoya. Equipé de foils, des appendices profilés comme des ailes qui remplacent les traditionnels flotteurs, l’hydravion, qui vole au-dessus des eaux plus qu’il ne flotte, peut amerrir ou décoller depuis un plan d’eau, et même se poser sur terre ou sur neige.
Malgré son aspect novateur, le projet de Lisa Airplanes n’a pas marché. L’entreprise avait choisi de développer « un hydravion de luxe, un appareil de deux places vendu plus de 300 000 euros », explique M. Terrasse. Faute d’avoir reçu sa certification, Akoya n’a jamais pu être commercialisé. Il n’empêche, les fameux foils, l’innovation d’importance mise au point par Lisa Airplanes, pourraient être développés pour équiper des hydravions beaucoup plus lourds, comme des Canadair.
Dépité mais pas vaincu
Hydroptère 2.0, qui avait fait une offre pour acquérir le prototype et la technologie de Lisa Airplanes, veut poursuivre les recherches de la société savoyarde pour dépasser la « barrière de la cavitation ». Ce seuil empêche les bateaux ou hydravions équipés de foils d’aller au-delà des 50 nœuds, soit environ 93 km/h. Au-dessus de cette vitesse, « il y a un décrochage, les foils ne portent plus et tombent brutalement », explique le patron d’Hydroptère 2.0. Un problème pour des hydravions comme pour les Canadair, dont « la vitesse de décollage et d’écopage est de 80 nœuds », ajoute le PDG.
Mais quelques mois après la mise en liquidation de Lisa Airplanes, le tribunal de commerce d’Annecy a attribué, pour une somme modeste (90 000 euros), les actifs de la société à une société chinoise inconnue, Zhejiang Xingxue General Aviation Industry Research and Development, déjà actionnaire minoritaire de la société savoyarde, et qui, comme l’ensemble des entreprises aéronautiques chinoises, a un lien avec les autorités de Pékin.
Dépité mais pas vaincu, Hydroptère a fait appel de la décision du tribunal. La cour d’appel de Chambéry devrait « statuer sur la recevabilité de notre appel le 1er juin », annonce M. Terrasse. Hydroptère 2.0 se dit prêt à s’« aligner sur l’offre financière des Chinois ». Il semble que les autorités commencent à prendre cette affaire au sérieux car le « dossier est monté jusqu’au parquet général de Paris », rapporte le PDG.
Pour M. Terrasse, il ne s’agit de rien de moins que d’une « alerte de souveraineté » pour la France. Equipés de foils, les Canadair de future génération pourront amerrir et écoper de l’eau même par mer formée, avec du clapot et des petites vagues. Une avancée non négligeable alors que les incendies de forêt deviennent monnaie courante. Décidé à prendre langue avec le canadien De Havilland, constructeur des Canadair, Hydroptère 2.0 travaille déjà sur un projet d’avion bombardier d’eau avec la société belge Roadfour. Celle-ci cherche un site pour l’assembler du côté de Saint-Nazaire.