source: le Monde du 15/05/2023
L’Inde, nouvel eldorado de l’aviation civile, attire les géants du secteur
Le pays le plus peuplé du monde devra construire des aéroports à un rythme effréné, acheter des avions, former des dizaines de milliers de pilotes
Carole Dieterich
NEW DELHI – correspondance
Le gouvernement le claironne à tout-va. L’Inde peut désormais se vanter d’être le troisième marché de l’aviation civile au monde, derrière les Etats-Unis et la Chine. La croissance a été fulgurante dans le sous-continent. Au cours des six dernières années, le trafic domestique a augmenté de 14,5 % par an, là où le trafic international de passagers a progressé au rythme annuel de 6,5 %. Et le secteur, en passe de devenir le plus dynamique de la planète, promet de poursuivre sa trajectoire. Selon les prévisions d’Airbus, le nombre de passagers transportés devrait passer de 165 millions en 2019 à 641 millions en 2041.
Les aéroports indiens semblent ne jamais désemplir et les besoins sont colossaux. « Aujourd’hui, en période chargée, on s’approche des capacités maximales d’exploitation de certains aéroports », souligne un observateur du secteur sous le couvert de l’anonymat. Au risque de frôler la surchauffe.
L’Inde devra aussi former 34 000 pilotes et 45 000 techniciens supplémentaires d’ici à 2040. Les incidents de vol défraient régulièrement la chronique, notamment en raison de problèmes de maintenance ou de formation : pare-brise fissuré forçant à rebrousser chemin, bug du système radar, collision entre deux avions évitée de justesse.
Compétition féroce
« Nous devons mettre en place l’infrastructure et les capacités de l’aviation civile qui, d’ici à 2047, seraient en mesure de soutenir une économie de 20 milliards de dollars (18,2 milliards d’euros) », a déclaré le ministre de l’aviation civile, Jyotiraditya Scindia, au mois de mars, en référence aux projections économiques ambitieuses du gouvernement de Narendra Modi.
Le gouvernement prévoit d’investir 980 milliards de roupies, soit environ 11 milliards d’euros, d’ici à 2025 pour construire et moderniser les aéroports. Depuis l’arrivée au pouvoir de M. Modi en 2014, 73 aéroports supplémentaires sont devenus opérationnels dans le cadre d’un programme gouvernemental, dont l’objectif est de développer les connectivités entre les plus petites localités et les grandes villes pour rendre le transport aérien accessible à tous. Le pays compte aujourd’hui 146 aéroports, un total qui sera porté à 200 dans les prochaines années. De quoi susciter l’appétit des investisseurs étrangers. En 2020, le gestionnaire français de plates-formes aéroportuaires ADP a acquis 49 % du capital de GMR Airports, filiale du groupe familial de BTP indien GMR. ADP se trouve déjà aux commandes des aéroports de Delhi, Hyderabad et Goa Mopa, alors que le gouvernement prévoit de privatiser 25 aéroports supplémentaires sous un modèle de partenariat public-privé.
Mais la compétition indienne sera féroce. Le milliardaire Gautam Adani, proche de M. Modi et dont l’appétit semble insatiable, a d’ores et déjà annoncé qu’il souhaitait mettre la main sur plus d’aéroports. Et son groupe a l’habitude de rafler tous les marchés.
Au cours des vingt prochaines années, l’Inde devra se doter de 2 210 nouveaux avions de ligne, soit une centaine d’appareils par an. Le taux de remplissage des compagnies indiennes avoisine déjà les 90 % les jours de semaine. « Cela créera un large éventail de possibilités pour les principaux avionneurs, notamment Airbus et Boeing », souligne Rajiv Biswas, économiste chargé de l’Asie-Pacifique chez Standard & Poor’s. Cependant, en matière de fabrication d’avions de ligne, l’Inde est entièrement dépendante de l’étranger. Ainsi, en février, Air India a passé une commande historique de 470 appareils à Boeing et Airbus. D’autre part, chaque semaine, l’avionneur européen livre un avion, et le rythme devrait plus que doubler, affirme une source de l’industrie.
Préférence nationale
« Cette expansion rapide de la flotte ira de pair avec l’augmentation des capacités de maintenance, de réparation de d’exploitation », poursuit Rajiv Biswas. La chaîne d’approvisionnement de Boeing s’étend déjà parmi plus de 300 entreprises indiennes. Le groupe américain a également annoncé la création, en partenariat avec GMR, à Hyderabad, d’une usine de conversion d’avions de ligne en avions pour le fret.
Airbus possède notamment un centre d’ingénierie, installé depuis 2007 à Bangalore, avec plus de 700 ingénieurs. Le motoriste Safran emploie, pour sa part, plus d’un millier de personnes sur plus de dix sites en Inde (activités de défense et spatiales comprises). Signe de l’importance du marché indien pour l’entreprise française, elle a débauché l’ancien ambassadeur de France en Inde, Alexandre Ziegler, en 2019 pour le nommer directeur international.
Les géants de l’aéronautique emmènent aussi dans leur sillage tout un réseau de PME étrangères qui entrent sur le marché indien. L’aéronautique est ainsi le premier poste d’exportations de la France dans ce pays s’établissant à 2,6 milliards d’euros en 2022.
L’Inde est certes un pays d’avenir, mais le gouvernement mène une politique de préférence nationale, rendant difficile une entrée sur le marché sans partenaire indien. L’objectif pour le géant sud asiatique est de favoriser les investissements sur son sol, le partage de savoir-faire et les transferts de technologie. Le pays souhaite effectivement encourager sa production nationale et ambitionne surtout de devenir un hub de l’aviation pour la région, en accord avec le mantra du premier ministre nationaliste hindou « Atmanirbhar Bharat », qui signifie une « Inde autonome ».