Industrie aéronautique: la sous-traitance sort de la pandémie

Source: Le Monde du 22/05/2023

Dans l’aéronautique, la sous-traitance s’active

La filière, fragilisée par la pandémie et la hausse des coûts, se prépare à l’augmentation de la production

Audrey Sommazi

TOULOUSE- correspondance

Pour l’aéronautique, si le coup d’arrêt du printemps 2020 a été brusque, la reprise, elle, est précipitée. Il y a trois ans, en raison de la pandémie de Covid-19, tous les avions, ou presque, ne pouvaient décoller et les chaînes de fabrication tournaient au ralenti. Mais le secteur, dopé par la reprise du trafic aérien en 2021 et 2022, s’est relevé. En Occitanie, la chaîne d’approvisionnement respire​ de nouveau, car quand Airbus, le moteur de l’économie régionale, va, c’est toute une filière (770 entreprises et 75 000 salariés, intérim compris) qui repart.

Début mai, l’avionneur européen a annoncé augmenter les cadences de production de son best-seller, l’A320, passant de soixante-cinq appareils par mois à la fin de 2024 à soixante-quinze par mois en 2026. « Cette annonce est un bon signal », se félicite Christian Cornille, président de Mecachrome, un fabricant de pièces de structures et de moteurs d’avion. « Il est plus réjouissant de s’occuper d’un plan de croissance que d’un plan de restructuration. »

« Notre trésorerie a fondu »

​Cette reprise de l’activité est néanmoins contrariée par le manque de disponibilité de certains alliages d’aluminium ou d’aciers Inox.​ « Au-delà du volume, le problème est la question de la capabilité », relève M. Cornille. « Certains fournisseurs se sont restructurés et spécialisés dans des typologies de titane et d’acier et choisissent à qui livrer la matière première. Parfois, ils ne le font pas en notre faveur. » En conséquence, la ligne de fabrication des cônes avant des moteurs d’avion de l’usine du groupe implantée à Aubigny-sur-Nère (Cher) s’est mise à l’arrêt quinze jours, en février. « Notre client, Safran, a dû utiliser ses stocks », note M. Cornille.

A cette contrainte s’ajoutent d’autres difficultés financières. L’envolée des prix des matières premières et la hausse des coûts de l’énergie surviennent au moment où la sous-traitance doit rembourser des prêts garantis par l’Etat contractés lors de la crise sanitaire. Cette conjonction de facteurs fragilise toute la chaîne de fabrication, occasionnant un décalage des calendriers de production et, in fine, des livraisons de pièces.

« Notre trésorerie a fondu. Nous n’avons plus rien », observe Sabrina Dos Santos, présidente de l’entreprise Vidal (usinage de précision des pièces pour les trains d’atterrissage), installée à Saint-Martin-du-Touch, un quartier de Toulouse. « Nous sommes à un stade où, si nous n’acceptons pas les prix imposés, nous produisons à perte. »

La dirigeante de l’entreprise familiale, fondée en 1950 par son arrière-grand-père, peut s’appuyer sur sa filiale portugaise, Fly Mecanica de Precisao, pour usiner certaines pièces. « Là-bas, les charges sociales sont bien moindres. Les salaires sont plus bas qu’en France et le temps de travail est de quarante heures par semaine », se justifie Mme Dos Santos, laquelle espère aussi que la stratégie de diversification de l’activité lui permettra de rebondir financièrement.

Le sous-traitant Ségneré (usinage, tôlerie, chaudronnerie et assemblage) met en place d’autres leviers. Le groupe envisage un étalement de sa dette, qui s’était creusée lors de la pandémie. « Nous devons trouver de l’argent », affirme Jean-Yves Ségneré, le directeur administratif et financier de cette PME, dont les bureaux sont situés à Tarbes (Hautes-Pyrénées). « A la hausse des coûts se greffe la dégradation des conditions de paiement, qui s’effectuent désormais à la réservation de la matière première, et non à sa réception. »

En interne, la direction a lancé un plan de rattrapage. « Pour retrouver un niveau de performance acceptable, trois ingénieurs détachés par nos donneurs d’ordres nous aident à planifier et à hiérarchiser la production selon les urgences, déclare​ M. Ségneré, satisfait des premiers résultats. Nous commençons à bien réduire les retards de livraison, qui pouvaient atteindre jusqu’à trois mois. »

Contrairement aux entreprises familiales, Mecachrome (4 300 salariés, dont 800 en Occitanie, et vingt-deux usines) bénéficie de l’aide financière de ses actionnaires : le fonds aéronautique Tikehau Ace Capital et Bpifrance ont injecté des capitaux supplémentaires. Et les clients du sous-traitant ont consenti à des avances de paiement sur des factures à venir.

Pour soutenir les cadences de production, le secteur doit grossir ses rangs : il est à la recherche de 4 000 à 5 000 personnes en Occitanie en 2023. Sauf que les entreprises cherchent les mêmes profils, et il n’y en aura pas pour toutes. « Les bons candidats sont vampirisés par Airbus, Dassault Aviation et Safran », regrette Jean-Yves Ségneré. « Nous ne pouvons pas nous aligner sur ces grands groupes et leurs avantages sociaux. » Alors, pour recruter vingt-cinq personnes en 2022, le groupe tarbais a recouru aux intérimaires.

Course aux candidats

Un autre facteur explique le manque de bras : les salariés qualifiés ont bifurqué vers d’autres secteurs. C’est le cas de Clément Verger. Après dix années passées chez Mecachrome, ce chaudronnier a été, à sa demande, licencié en mars 2023 pour « prendre l’air »« Je ressentais une certaine lassitude vis-à-vis des conditions de travail : trop de poussière, trop de bruit et un salaire qui plafonnait à 1 500 euros net par mois, alors que j’étais un élément sans problème », explique cet ex-délégué du personnel CGT.

Dans cette course aux candidats, les salariés en poste comparent les offres de la concurrence. « Je travaille pour Airbus et je n’ai pas les mêmes avantages que le groupe », constate Clément (un prénom d’emprunt), consultant qualifié chez Capgemini (ingénierie et conseil). En mars, ce prestataire en poste depuis trois ans chez l’avionneur a collé sur son profil LinkedIn le badge « open to work » (ouvert à la possibilité d’un nouveau travail). « J’attends que l’on vienne me chercher. J’ai déjà eu deux contacts, mais je me suis aperçu que les bureaux d’études étaient alignés sur les mêmes salaires. »

Pour Bruno Bergoend, président régional de l’Union des industries et métiers de la métallurgie, les entreprises du secteur sont devant « une équation complexe pour garder un salarié »« Il y a les conditions de travail, bien sûr. Mais, avant tout, il faut les séduire avec les enjeux de l’aéronautique. »

La quête de sens, c’est ce qui a encouragé Aurélie Falcone, 28 ans, à mettre un terme à sa période d’essai chez le groupe d’ingénierie Expleo pour rejoindre l’avionneur toulousain Aura Aero, en novembre 2022. « Dans cette petite structure, la recherche et développement n’est pas un vain mot », remarque cette ingénieure, qui planche sur la simulation et la modélisation des batteries sur un avion hybride de dix-neuf places.