Source: Le Monde du 7/9/2023
Ariane-6 : des tests de mise à feu clés pour le lanceur
La réussite des essais en cours est déterminante pour aboutir à un premier lancement en 2024
Dominique Gallois
Moteur ! Neuf ans après le lancement du projet, mais avec près de quatre ans de retard sur le programme initial, la fusée Ariane-6 est entrée dans l’une des phases-clés de son développement, à savoir les tests de mise à feu. A partir de leurs résultats, l’Agence spatiale européenne (ESA) annoncera en octobre la date du premier lancement, prévu normalement en 2024. « Avant fin juin, si tout se passe bien », précise le directeur général de l’ESA, Josef Aschbacher.
« Nous sommes sur une bonne séquence », constate Philippe Baptiste, le président du Centre national d’études spatiales (CNES), au vu des trois premiers essais réussis, successivement les 18 juillet, 1er et 5 septembre. Le quatrième et dernier test, prévu le 3 octobre, sera le plus important.
Un lanceur réallumable
Ces campagnes sont menées sur deux sites. Tout d’abord à Kourou, au Centre spatial guyanais, où une Ariane-6 a été installée sur le pas de tir géré par le CNES afin de tester Vulcain 2.1, le moteur de l’étage principal de la fusée qui lui permettra de se propulser vers l’espace. Parallèlement, les performances du Vinci, le moteur de l’étage supérieur chargé de mettre les satellites sur leurs orbites, sont analysées à Lampoldshausen, en Allemagne, sur le banc d’essais de l’agence spatiale allemande DLR, mis à la disposition d’ArianeGroup, le constructeur du lanceur. Sa particularité est d’être réallumable, donc de pouvoir aller sur différentes trajectoires et, ainsi, de multiplier les options de destinations proposées par Ariane-6.
Le premier essai, mi-juillet à Kourou, du Vulcain 2.1 a permis de vérifier le compte à rebours allant du remplissage en ergols cryotechniques (oxygène et hydrogène liquides) du moteur jusqu’à son allumage, sans cependant le déclencher. Cette chronologie dure quelques minutes seulement. « On entre alors dans une séquence entièrement automatique, explique Philippe Baptiste. Imaginez un gigantesque robot complexe avec une partie au sol et une autre dans le lanceur, communiquant entre elles sans intervention humaine. » Le test a été concluant. « Nous l’avons réussi en une seule fois, alors que pour Ariane-5, il avait fallu deux mois pour y parvenir », poursuit le président du CNES.
En juillet, la mise à feu n’a pas été déclenchée, comme envisagé initialement, mais elle a eu lieu mardi 5 septembre avec succès pendant quatre secondes au terme du compte à rebours. Une étape importante qui ouvre la voie au dernier essai, prévu début octobre. L’allumage sera alors d’une plus longue durée, quatre cent soixante-huit secondes, soit près de huit minutes, correspondant au temps de fonctionnement en vol de ce moteur cryotechnique.
Décalage « anticipé »
Quelques jours auparavant, vendredi 1er septembre, le Vinci avait lui aussi réussi son essai à feu réalisé pendant six cent quatre-vingts secondes (plus de onze minutes), le temps que dure la mission en vol. Il en a été de même pendant trente minutes pour l’unité auxiliaire de puissance (APU), qui permet de rallumer ce moteur. La qualification approche et si les résultats sont concluants, le lancement inaugural sous l’égide de l’ESA pourrait intervenir dans la première moitié de l’année 2024. Il faudra ensuite six mois avant le premier vol commercial. Tout retard supplémentaire sera préjudiciable car à mesure que les échéances se décalent, il devient de plus en plus difficile pour Arianespace d’assurer les mises en orbite dans les temps impartis au départ. Cette filiale d’ArianeGroup a engrangé vingt-huit missions, soit trois années pleines de lancements, jusqu’en 2026. Le plus important contrat concerne dix-huit lancements achetés par Amazon pour déployer sa constellation de satellites Kuiper, destinés à fournir l’Internet haut débit. « Nous avons anticipé cette situation de décalage des vols et discutons en permanence et en toute transparence avec nos clients pour nous adapter, certains étant plus pressés que d’autres », reconnaît Stéphane Israël, PDG d’Arianespace. Ainsi, l’opérateur américain de satellites Viasat, qui aurait dû être du premier lancement d’Ariane-6, s’est désisté. « C’est le seul cas, et les évolutions actuelles du planning ne remettent pas en cause les autres missions à ce stade », explique Stéphane Israël. La montée en cadence se fera progressivement avec un tir tous les trois mois après le premier vol commercial, l’objectif étant d’arriver à dix lancements annuels trois ou quatre ans plus tard, vers 2026-2027.
Le temps presse car, depuis le dernier tir d’Ariane-5 en juillet, l’Europe ne dispose plus de lanceur lourd et il ne lui reste plus que deux petites Vega, dont le lancement est prévu le 4 octobre. La situation n’est pas meilleure en Inde, où les fusées Geosynchronous Satellite Launch Vehicle sont peu disponibles, ni au Japon où, en mars, la nouvelle fusée H3, qui devait assurer ses vols commerciaux, a connu un deuxième échec et a dû s’autodétruire.
Pendant ce temps, SpaceX continue de dominer le marché. Fin août, avec près de 60 vols réussis depuis le 1er janvier, la firme d’Elon Musk a réalisé plus de la moitié de son objectif, à savoir faire 100 lancements de Falcon 9 sur l’année. Un record absolu, représentant quasiment autant de lancements d’Ariane-5 en près de trente ans d’existence. Mais cette domination du milliardaire dans l’accès à l’espace n’est pas sans poser de questions pour les opérateurs de satellites, qui se retrouvent aujourd’hui face à un prestataire quasi unique