Le Monde
Mariage scellé dans l’espace
PERTES & PROFITS|EUTELSAT-ONEWEB
Par Philippe Escande
Le notable et l’aventurier. L’un plane à 36 000 kilomètres de la Terre, loin de ses tumultes ; l’autre file à 450 kilomètres, dans un paysage encombré et dangereux. Jeudi 28 septembre, les actionnaires d’Eutelsat et d’OneWeb ont approuvé le mariage des deux entreprises, avec pour objectif de créer un géant de l’Internet par satellite.
Créé en 1977 par 17 pays européens pour fournir des télécommunications et de la transmission télévisée aux Etats du continent, Eutelsat, privatisé en 2001, a prospéré avec l’essor des chaînes du petit écran dans un univers réglementé et oligopolistique.
OneWeb, à l’inverse, est apparu en 2014 au Royaume-Uni, dans le monde en ébullition de l’Internet par satellite, l’apparition des minisatellites en orbite basse améliorant considérablement les performances de la communication pour un coût plus faible. Plus faible, mais qui se chiffre rapidement en milliards d’euros. Les faillites s’enchaînent donc aussi vite que les créations.
OneWeb n’y échappe pas et dépose le bilan en 2020. Il est alors repris, souveraineté oblige, par l’Etat britannique, avec l’aide du conglomérat indien Bharti. Mais son avenir reste précaire face aux moyens déployés par le premier acteur de ce nouveau secteur, Starlink, filiale de SpaceX, la compagnie d’Elon Musk. Quand OneWeb envoie 600 de ses petites machines dans l’espace, Starlink en a déjà positionné 3 500 et entend à terme saturer notre ciel nocturne avec 30 000 boîtes tournant au-dessus de nos têtes. Comment lutter ?
Elargir l’offre
C’est là qu’intervient le notable Eutelsat. Son sujet à lui n’est pas l’argent, ni les clients fidèles, mais l’avenir. Ses partenaires télévisuels sont de moins en moins seuls dans les foyers. La télévision par Internet, popularisée par Netflix, mange l’audience des chaînes traditionnelles. Même le roi Disney envisage de se séparer de ses chaînes américaines pour se concentrer sur le streaming. Il faut donc, pour Eutelsat, revenir plus près de la Terre.
Le nouvel ensemble sera plus riche, mais infiniment moins que Starlink et Amazon, capables de trouver des dizaines de milliards de dollars. Au moins sera-t-il protégé par les gouvernements français et britannique, présents au capital de la nouvelle société, même si le premier actionnaire sera indien. Une souveraineté à géométrie variable qui a le mérite d’élargir l’offre. L’exemple de l’Ukraine, dont l’Internet est aux mains de Starlink, en démontre la nécessité.