Source Le Monde du 2023-12-20
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Les houthistes et leur parrain iranien apparaissent en position de force. « Ce mouvement qui n’était qu’une milice encore rudimentaire en 2014-2015, est monté en gamme sur le plan militaire en ayant rallié à lui une partie de l’appareil d’Etat yéménite, dont des officiers de l’ancien régime », rappelle Jean-Loup Samaan, chercheur associé à l’Institut du Moyen-Orient de l’université nationale de Singapour.
Épineuses questions
Selon les experts militaires, les rebelles yéménites disposent d’une large gamme d’équipements, dont des missiles balistiques de diverses portées, tel que le Ghadr, de confection iranienne. Un exemplaire de ce projectile a été tiré le 6 novembre, en direction d’Israël, qui l’a intercepté en vol. En 2023, Les houthistes ont aussi exhibé des drones sous-marins (dits « Nazir 1 » et « Nazir 2 »). Un armement sophistiqué, qui a obligé les Etats-Unis à déployer des moyens spécifiques de lutte anti-sous marine.
La création de cette coalition navale pose pour finir d’épineuses questions de ravitaillement en munitions. « Face aux multiples sensibilités des pays de la région, obtenir des accès pour faire atterrir des avions avec des missiles à bord puis faire venir dans un port un bateau pour le ravitailler n’a rien d’évident », détaille une source proche du dossier. Dans le cas français, les stocks de missiles Aster utilisés sur les frégates, comme en a tiré la Languedoc, le 9 et 12 décembre contre des drones, sont en outre limités. « Le temps de fabrication est très long, le problème des munitions pour la mer rouge est le même que celui pour la guerre en Ukraine », poursuit la même source.
Les attaques des rebelles yéménites désorganisent le fret mondial
Les principales compagnies de transport maritime, dont CMA CGM, ont décidé de suspendre tout transit via le détroit de Bab Al-Mandab
Julien Bouissou
La guerre entre Israël et le Hamas, en se déportant vers la mer Rouge, commence à perturber le commerce mondial. En réaction aux attaques des rebelles houthistes du Yémen, le pétrolier britannique BP a annoncé, lundi, suspendre tout transit via le détroit de Bab Al-Mandab. Quatre des cinq plus grandes compagnies maritimes, à savoir le français CMA CGM, le danois Maersk, l’italo-suisse MSC et l’allemand Hapag-Lloyd, avaient pris une décision similaire durant le week-end. Soutenus par l’Iran, les houthistes ont prévenu qu’ils viseraient tout navire ayant des liens avec Israël.
Samedi, un destroyer américain a abattu en mer Rouge plus d’une douzaine de drones lancés depuis les zones du Yémen contrôlées par la rébellion. Lundi, le propriétaire norvégien du Swan-Atlantic a annoncé que son navire avait été visé par un « objet non identifié », déclenchant un incendie rapidement maîtrisé. « Les attaques sur les navires commerciaux dans la région sont alarmantes et constituent une menace importante pour la sécurité et la sûreté des gens de mer », a expliqué Maersk dans un communiqué publié mardi, annonçant au même moment que CMA CGM qu’il redirigeait une partie de ses navires vers la pointe sud de l’Afrique.
D’une largeur de 27 kilomètres, le détroit de Bab Al-Mandab, par lequel transitent deux tiers des importations européennes, est une autoroute maritime cruciale pour le commerce mondial. Une partie des navires bloqués stationnent à l’entrée de la mer Rouge en attendant que la situation s’améliore. Chaque jour d’immobilisation coûte entre 400 000 et 600 000 dollars (entre 365 000 et 548 000 euros). D’autres ont pris la direction du cap de Bonne-Espérance, au sud de l’Afrique, ce qui fait passer le trajet de Shanghaï à Rotterdam de trente-cinq jours en moyenne à quarante-cinq.
« Les armateurs économisent sur les frais de péage du canal de Suez, qui peuvent atteindre les 600 000 dollars par navire, mais doivent dépenser davantage à cause de l’allongement des trajets, notamment en carburant pour augmenter la vitesse et combler les retards », explique Pierre Cariou, professeur à la Kedge Business School (Bordeaux) et spécialiste du transport maritime. Selon ses estimations, le contournement du canal de Suez devrait entraîner un surcoût, compris entre 5 % et 10 %. Avec cette nouvelle route, les navires ne desserviront plus les ports de la mer Méditerranée, de Port-Saïd (Egypte), à Marseille en passant par Gênes (Italie), ce qui risque de perturber le transport de marchandises dans cette région. Ce contournement pénalise aussi l’Egypte, qui tire une grande partie de ses revenus des frais de péage sur le canal de Suez. Ils ont atteint les 8,5 milliards d’euros en 2022, soit 10 % de son budget annuel.
Ruptures d’approvisionnement
Ces perturbations ont un impact sur les marchandises dont le prix est sensible aux variations des coûts du fret, à l’instar des minerais de fer, du charbon ou du pétrole, ou celles dont le rallongement des délais de livraison risque d’entraîner des pénuries. Lundi, le cours du pétrole grimpait, poussé par les inquiétudes sur les difficultés d’approvisionnement. Les perturbations n’auront aucune incidence sur les produits de Noël.
Après la pandémie de Covid-19 qui a perturbé les chaînes d’approvisionnement, et l’échouage d’un porte-conteneurs qui a bloqué le canal de Suez pendant six jours en 2021, cette crise fragilise davantage un commerce mondial qui dépend à 80 % du transport maritime. Le passage de navires a été réduit cet automne sur le canal de Panama, par où transitent 6 % du trafic maritime mondial, en raison d’une sécheresse qui complique son alimentation en eau douce. « Ces crises à répétition favorisent les mouvements de relocalisation », observe M. Cariou. Elles confortent aussi la nouvelle stratégie de développement des compagnies maritimes qui se développent, à l’instar de CMA CGM, dans la logistique terrestre et le transport aérien pour contourner les goulets d’étranglement. D’autres, comme le danois Maersk, investissent dans des entrepôts portuaires pour minimiser les risques de ruptures d’approvisionnement. Si cette crise est une mauvaise nouvelle pour le commerce mondial, elle ne l’est pas pour les compagnies maritimes qui tireront profit du rallongement des trajets. Les cours en bourse de Maersk et de Hapag-Lloyd se sont envolés de 4,7 % et de 9,4 % dans la seule journée de lundi.