Source: Le Monde
La compagnie aérienne Corsair se sauve in extremis avant Noël
L’entreprise, qui dessert principalement l’outre-mer, a trouvé 30 millions d’euros qui lui manquaient pour renflouer ses fonds propres
Guy Dutheil
Finalement Corsair va passer l’hiver. La compagnie aérienne était depuis plusieurs mois à la recherche d’argent frais pour opérer sa recapitalisation. Désormais, « c’est bouclé ! », s’est félicité, lundi 18 décembre, Pascal de Izaguirre, PDG de la compagnie. « Oui, c’est clair, net et précis, nous avons réussi à trouver le financement qui permettra à Corsair de poursuivre son activité. » Selon nos informations, l’opération, qui serait surveillée de près par l’Elysée, se déploiera en deux temps.
D’abord, pour renflouer ses fonds propres, la compagnie devait trouver 30 millions d’euros, comme en 2020. A l’époque, Corsair avait rassemblé cette somme auprès d’investisseurs antillais comme le groupe Loret, depuis actionnaire à 10 %. En cette fin 2023, les financements locaux se seraient faits plus frileux. Ils ne représenteraient que 15 millions d’euros. L’autre moitié proviendrait, selon une source proche du dossier, d’un investisseur africain. La République du Congo pourrait ainsi débourser 15 millions d’euros pour détenir la moitié du capital. « Pas de commentaire », a répondu M. de Izaguirre, qui n’a toutefois pas souhaité opposer de démenti.
Maintenant que cet apport indispensable de 30 millions d’euros a été constitué, c’est l’Etat qui est sollicité. La direction de la compagnie aérienne voudrait que sa dette fiscale et sociale soit effacée. Elle demanderait aux pouvoirs publics de renoncer à 147 millions d’euros. « En contrepartie de l’injection de “new money” [d’argent frais], l’Etat serait prêt à envisager quelques efforts en matière de restructuration de la dette », affirme le PDG. A l’en croire, ce serait même une opération « assez classique » dont « Air France ou encore Air Austral » ont déjà bénéficié en leur temps.
Une fois de plus, c’est le comité interministériel de restructuration industrielle qui est à la manœuvre. L’organisme public chargé de venir en aide« aux entreprises en difficulté » se montre moins affirmatif que la compagnie et fait savoir que « les discussions continuent ». Le sauvetage de la compagnie est une opération de longue haleine.
Secteur fragile
Plusieurs scénarios ont été mis à l’étude par le passé. Il y a eu d’abord la volonté de recréer un second pavillon tricolore aux côtés d’Air France. Un « Air outre-mer » qui aurait pu regrouper les compagnies qui desservent les Antilles, La Réunion et la Guyane, c’est-à-dire Air Caraïbes, French Bee, Corsair et Air Austral. Un souhait des pouvoirs publics qui n’a pas résisté à l’opposition de certains acteurs de ce secteur pourtant fragile. « Ce n’est plus d’actualité », a reconnu le PDG de Corsair.
Ensuite pour pérenniser Corsair, un rapprochement avec Air France a été imaginé. La compagnie dirigée par Ben Smith a étudié le dossier Corsair à l’invitation de l’Etat. En février, à l’occasion de la présentation des résultats annuels d’Air France, son directeur général avait même plaidé pour une consolidation. « Le marché outre-mer est vraiment un marché sur lequel il devrait y [en] avoir une. Avoir quatre sociétés sur un seul réseau, des sociétés qui sont assez petites, ce n’est pas le plus optimal pour nous ni pour les passagers », avait-il signalé.
A l’époque, Air France aurait réfléchi à une prise de participation de 51 % du capital. Mais, in fine, Ben Smith a finalement choisi de passer son tour. Et Corsair a déposé, en septembre, une nouvelle demande de protocole de conciliation auprès du tribunal de commerce de Pointe-à-Pitre (Guadeloupe). « Cela fait longtemps que l’on a annoncé que nous étions en négociations pour engager une restructuration financière », rappelle la direction.
C’est la seconde fois en moins de quatre ans que Corsair doit être recapitalisée. En 2020 déjà, le comité interministériel de restructuration industrielle s’était penché sur le dossier de la compagnie. Fin 2020, elle avait obtenu un prêt de 80 millions d’euros du Fonds de développement économique et social et avait bénéficié de 107 millions d’euros de reports de charges sociales et d’abandon de créances, notamment de son ancien actionnaire l’allemand TUI. Au total, à l’époque, la compagnie dirigée par M. de Izaguirre avait obtenu un financement de 267 millions d’euros en sus des 30 millions de ses actionnaires locaux.
Certains, sous le couvert d’anonymat, s’étonnent qu’en 2023 les pouvoirs publics viennent encore au secours de Corsair. Ils soulignent que « l’Etat ne peut pas aider une entreprise privée deux fois en moins de dix ans. Il faut le feu vert de Bruxelles ». Et dénoncent l’utilisation des recettes tirées des billets émis et non utilisés pour payer ses dépenses de fonctionnement. Des accusations « totalement malveillantes », s’étrangle Pascal de Izaguirre. Il rétorque que « ce fonds de roulement, c’est même le principe de base de toutes les compagnies qui vendent les billets d’avion en avance et encaissent l’argent par anticipation ». Mieux, fait-il savoir, les droits des passagers seraient protégés car « toutes les compagnies sont sous le contrôle de la direction générale de l’aviation civile ». Cette dernière s’assure que « chaque compagnie aérienne licenciée en France est capable d’honorer ses engagements vis à vis du public ». Face à ces attaques, Corsair signale avoir entamé son redressement. Notamment la modernisation de sa flotte de neuf appareils. Elle a déjà reçu, cette année cinq long-courriers A330neo flambant neuf. Les quatre derniers Airbus devraient être réceptionnés courant 2024.