Le Monde
A Creil, dans l’Oise, la piste de l’énergie solaire
L’ancien aérodrome doit accueillir environ 350 000 panneaux photovoltaïques au cours des deux ans à venir
Adrien Pécout
REPORTAGECREIL (OISE)- envoyé spécial
Pour décoller, la filière française de l’énergie solaire compte emprunter le chemin d’un ancien aérodrome. A ce jour, sur le site désaffecté depuis 2016, il n’y a pas encore de panneaux photovoltaïques. La vaste étendue, grande comme à peu près 350 terrains de football, court sur trois communes du département de l’Oise : Creil, la principale, mais aussi Verneuil-en-Halatte et Apremont. Ici sont censés se déployer, au cours des deux prochaines années, quelque 350 000 panneaux.
Avec environ 200 mégawatts-crête de puissance maximale, la future centrale promet de devenir la deuxième plus importante du pays, derrière celle, déjà en service, de Cestas (Gironde). De quoi alimenter en électricité l’équivalent annuel de la consommation de 85 000 foyers, selon Photosol, développeur de ce projet et filiale de Rubis, un groupe jusque-là spécialisé dans les hydrocarbures. Particularité : cette ancienne piste servait autrefois à la base militaire de Creil (base aérienne 110, selon la numérotation nationale), dont les activités se poursuivent toujours sur une parcelle voisine, essentiellement autour du renseignement militaire et de l’imagerie spatiale.
« Enjeux environnementaux »
Le terrain désaffecté appartient d’ailleurs toujours au ministère des armées, qui l’a mis en location. Contacté, le ministère ne précise pas le montant du loyer qu’il s’attend à percevoir au total. L’autorisation d’occupation du domaine public porte sur une durée de trente ans, jusqu’en 2050.
L’ancienne piste trace une voie possible pour l’énergie solaire, qui a besoin de place. « Notre entreprise cherche en priorité » des zones artificialisées au préalable, confirme Antoine Dubos, directeur du développement de Photosol. De prime abord, plutôt que d’avoir à rogner sur des terres agricoles, réhabiliter un terrain dégradé peut ainsi éviter certains conflits d’usage. « Foncier dégradé, délaissés routiers, ferroviaires ou fluviaux, grandes toitures et parkings » : dans sa stratégie française pour l’énergie et le climat, mise en consultation depuis novembre 2023, le gouvernement énumère ces espaces pour y privilégier le déploiement du photovoltaïque.
Pour autant, même sur des sites artificialisés, tout chantier suppose du temps. Souvent plus que prévu. Le temps de trouver « un point d’équilibre », sans jamais satisfaire complètement tout le monde, concède M. Dubos. « Ces sites présentent généralement des enjeux environnementaux complexes, du fait qu’ils sont souvent inexploités depuis des années. Ce qui limite la zone d’implantation, voire empêche l’émergence d’un quelconque projet. »
Dans le cas présent, des prairies bordent l’ancienne piste, à proximité d’un parc naturel régional. L’enquête publique, étape obligatoire, a rappelé l’existence de certaines espèces d’oiseaux ou de végétaux. Pour en tenir compte, le maître d’œuvre a revu ses chiffres à la baisse. Sur les 253 hectares de la zone au total, il compte désormais en exploiter 134 pour y dresser ses installations, et non plus 180. Le coût global est aujourd’hui estimé à environ 110 millions d’euros, en majeure partie pour la construction en tant que telle (panneaux en provenance de Chine, onduleurs, transformateurs, etc.), puis pour le raccordement au réseau électrique. Cependant, avant tout cela, depuis octobre 2023, l’heure est d’abord à la dépollution dite « pyrotechnique ». Des équipes de déminage, qui s’affairent en orange fluo, ont déjà fait une découverte d’environ une demi-tonne. Une bombe trouvée sous terre, à un petit mètre de profondeur, vestige vraisemblable de bombardements alliés pendant la seconde guerre mondiale.
La société Deminetec devra interrompre ses travaux du 1er mars au 31 juillet. « Il s’agit de la période de reproduction et de nidification, la plus sensible pour l’avifaune », précise Sophie Jacquot, cheffe de projet pour Photosol. Le début de la production d’électricité est prévu pour la fin de l’année 2024, avant le plein régime à partir de 2026.
Çà et là, le long d’une route départementale, l’ancien aérodrome compte encore des hangars et autres bâtiments. La plupart seront détruits, mais pas le dépôt d’armes et de munitions spéciales : promesse a été faite de conserver les murs, pour l’instant en piteux état, à l’intérieur desquels des militaires ont assemblé l’arme de dissuasion nucléaire, dans les années 1960.
En 2018, sur l’ensemble du pays, le ministère des armées promettait de mettre à disposition plus de 2 000 hectares pour des panneaux solaires avant 2025. Contacté par Le Monde, le plus gros propriétaire foncier de l’Etat annonce avoir finalement ramené cet objectif à 1 250 hectares, « à l’issue des appels à manifestations d’intérêt organisés auprès des entreprises du secteur ».
« La proximité de panneaux solaires ne changera strictement rien au fonctionnement de notre base aérienne en activité, assure le commandant du site militaire de Creil, le colonel David Sécher. Si ce n’est qu’elle aura l’avantage d’ajouter un obstacle supplémentaire à une éventuelle pénétration par le nord. »
A terme, selon les projections disponibles, l’exploitation de la future centrale (maintenance et suivi de production) nécessitera une dizaine d’emplois à temps plein. Pas grand-chose comparé aux deux milliers de personnes travaillant à l’intérieur de la base voisine.