https://www.avianews.ch/post/la-faa-stoppe-l-expansion-de-la-production-du-max?
Source: Le Monde du 27/01/2024
La série noire continue pour Boeing
Nouveau coup dur pour le constructeur : un appareil a perdu une roue au décollage le week-end du 20 janvier
Arnaud Leparmentier
NEW YORK- correspondant
La confiance en Boeing s’effondre. Selon le baromètre Morning Consult, le nombre d’Américains ayant confiance dans la marque a chuté de 32 à 20 points entre décembre 2023 et janvier ; celle des passagers utilisant fréquemment ses avions a reculé de 41 à 28 points. Après le détachement en vol d’une porte d’issue de secours d’un 737 MAX 9 d’Alaska Airlines, le 5 janvier, le constructeur aéronautique est au plus mal.
Le voici de nouveau pris dans la tourmente, incapable de faire voler ses avions de manière sûre, après les catastrophes des Boeing 737 MAX 8 de Lion Air et Ethiopian Airlines, qui firent 346 victimes en 2018 et 2019. Et mercredi 24 janvier, la Federal Aviation Administration (FAA), l’autorité américaine de régulation de l’aviation civile, a indiqué qu’une roue avant d’un Boeing 757, exploité par Delta Air Lines, s’est détachée alors que l’avion s’alignait pour décoller de l’aéroport international d’Atlanta (Géorgie), le week-end du 20 janvier.
Même la Bourse finit par se rendre à l’évidence : il y a quelque chose de cassé chez Boeing, qui a perdu 18 % de sa valeur depuis le début de l’année. L’autorité de régulation a ordonné l’immobilisation pour inspection des 737 MAX disposant de ces fermetures de portes, principalement chez United Airlines et Alaska Airlines. Elle a vivement critiqué la compagnie, qui avait déjà menti aux autorités lors de la certification des 737 MAX 8. « Cet incident n’aurait jamais dû se produire et cela ne peut pas se reproduire », déclarait la FAA dans un communiqué. Dimanche 21 janvier, elle a étendu les exigences d’inspection aux portes des 737-900 ER, qui précédèrent le MAX 9. Depuis le vol inaugural, du 737-900 ER en 2006, la FAA a déclaré qu’il avait enregistré plus de onze millions d’heures de fonctionnement et effectué 3,9 millions de vols, sans aucun problème lié à la fermeture des portes.
Obsession de rentabilité
L’affaire conduit au procès de la compagnie et à toutes les erreurs commises depuis un quart de siècle : son incapacité à voir monter en puissance Airbus et ses A320, qui allaient concurrencer les Boeing 737 ; la fusion avec l’avionneur militaire McDonnell Douglas et la prise de contrôle de Boeing par ses dirigeants, plus habitués à grenouiller politiquement à Washington pour obtenir des subventions qu’à travailler industriellement à la qualité des aéronefs ; une obsession de rentabilité ayant conduit, après une grande grève à Seattle, berceau historique de l’avionneur, en 2000, à délocaliser le siège à Chicago ; déplacer en Caroline du Sud une partie de la production et sous-traiter la construction du fuselage à une ancienne usine du Kansas, Spirit AeroSystems.
Les clients sont furieux. « Je suis plus que frustré et déçu. Je suis en colère », a déclaré le PDG d’Alaska Airlines, Ben Minicucci, à NBC News. Selon lui, l’arrachage de la porte était « inacceptable » pour un appareil sorti d’usine. United Airlines, grand client de Boeing, envisage d’annuler ses commandes de 737 MAX 10, avion encore non certifié. « Le clouage au sol du MAX 9 est probablement la goutte d’eau qui a fait déborder le vase pour nous. Nous allons élaborer un plan qui ne contient pas le MAX 10 », a annoncé le PDG d’United, Scott Kirby.
Les avertissements se succèdent. Pour Michael O’Leary, patron de Ryanair et grand client de Boeing, « le véritable défi pour Airbus et Boeing est qu’ils sont tous deux en retard dans leurs projets d’augmentation de production mensuelle. Cela tient en grande partie aux pressions de la chaîne d’approvisionnement. Je pense qu’Airbus et Boeing, et [plus] certainement Boeing, doivent améliorer considérablement le contrôle qualité », a-t-il déclaré au Financial Times. La compagnie aérienne a doublé le nombre de ses ingénieurs pour inspecter le processus de production chez Boeing et Spirit AeroSystems, qui a multiplié les défaillances de qualité depuis un an.
« Compte tenu de ce qui s’est passé avec les deux accidents mortels et cet incident, les objectifs financiers doivent passer au second plan pour Boeing et sa chaîne d’approvisionnement », a renchéri dans le Financial Times Aengus Kelly, directeur général d’AerCap, la plus grande société de location d’avions au monde, avant de mettre en garde Boeing : « S’il y avait un autre problème avec la gamme de produits [737], il serait très difficile pour les clients d’acquérir des avions supplémentaires. »
Pour contenir l’incendie, Boeing a nommé l’amiral à la retraite Kirkland Donald conseiller spécial du PDG, Dave Calhoun, pour évaluer le système de gestion de la qualité de Boeing. Avec une équipe d’experts, il doit examiner les programmes et pratiques de qualité de Boeing ainsi que la surveillance de ses sous-traitants.
Des dizaines d’inspecteurs
Dans la foulée de l’accident, la FAA a envisagé de priver Boeing du droit de certifier ses propres avions. « Il est temps de réexaminer la délégation d’autorité et d’évaluer les risques de sécurité associés, a déclaré l’administrateur de la FAA, Michael Whitaker. L’immobilisation du 737-9 et les multiples problèmes liés à la production identifiés ces dernières années nous obligent à examiner toutes les options pour réduire les risques. La FAA étudie la possibilité de recourir à un tiers indépendant pour superviser les inspections de Boeing et son système qualité. » La FAA a envoyé des dizaines d’inspecteurs sur site.
« Nous passons d’une approche d’audit à une approche d’inspection directe, a déclaré le patron de la FAA à CNBC. Jusqu’à ce que nous soyons sûrs que le système [d’assurance qualité] fonctionne correctement… nous aurons des troupes sur le terrain. » La FAA a franchi une nouvelle étape mercredi soir, interdisant l’augmentation des capacités de production du 737 MAX : « Nous n’accepterons aucune demande de Boeing pour une expansion de la production, ni n’approuverons des lignes de production supplémentaires pour le 737 MAX tant que nous ne serons pas convaincus que les problèmes de contrôle qualité sont résolus », a déclaré, dans un communiqué, M. Whitaker. L’action Boeing perdait 3 % de plus après la clôture de Wall Street.