Source: Le Monde, Élise Vincent
L’armée de l’air face au risque du manque d’effectifs
Une campagne de recrutement des forces aériennes, marquées par une évaporation de soldats de tout grade, a été lancée, mercredi
Depuis mercredi 7 février, une nouvelle série de spots télévisés et de posts sur les réseaux sociaux fait irruption sur nos écrans : ceux de l’armée de l’air et de l’espace, qui ouvre, cette année, la saison des recrutements pour les trois armées (avec celle de terre et la marine). Une campagne lancée dans un contexte marqué par une évaporation de plus en plus soutenue des effectifs. En 2023, l’armée de terre est celle qui a le plus été affectée par ce trou d’air, avec un manque d’environ 2 500 recrues sur un objectif de 16 000. Mais l’armée de l’air n’a pas évité totalement ce désamour. Il lui a manqué 200 candidats pour atteindre son objectif de 4 000 recrutements. Seule la marine a atteint ses ambitions avec 4 200 embauches, même si elle n’échappe pas à d’autres effets de bord.
« Aujourd’hui, il faut reconnaître que l’on a beaucoup trop de départs », a admis, vendredi 2 février, le général de corps aérien Manuel Alvarez, directeur des ressources humaines de l’armée de l’air et de l’espace, lors d’un Salon du lycéen et de l’étudiant qui se tenait porte de Versailles, à Paris, et où était présentée la nouvelle campagne.
Ce n’est pas la première fois que l’armée de l’air se retrouve confrontée à une insuffisance dans ses recrutements, mais la tension s’accentue depuis la réaugmentation des budgets de défense après des années de contraction. Jusqu’en 2017-2018, l’état-major limitait ses ambitions à l’embauche de 2 000 personnes par an, mais à partir de 2021 elle est passée à 3 000 par an, et depuis 2023, ce sont 4 000 personnes que l’armée de l’air doit recruter pour assurer tous ses postes, soit autour de 40 800 équivalents temps plein.
Cette pression est en partie liée à la hausse des effectifs voulue par la loi de programmation militaire (2024-2030), qui prévoit l’embauche de 6 300 personnes, toutes armées confondues d’ici à 2030, avec des marches de 700 à 1 200 créations de postes par an. Elle est aussi en corrélation directe avec une fuite de plus en plus marquée des soldats de tous grades, dont les causes de départ vont du niveau de rémunération aux conditions de logement, en passant par la multiplication des opérations dans un contexte de conflictualités exacerbées.
Obligation de « surrecruter »
En début de formation, l’armée de l’air est ainsi confrontée à une évaporation presque aussi forte que l’armée de terre : entre 2019 et 2022, de 27 % à 29 % des candidats ne sont pas allés au bout de leur formation (contre 30 % à 31,5 % dans l’armée de terre), un phénomène qui s’accroît d’année en année. En deuxième partie de carrière, les aviateurs sont ensuite souvent chassés par le privé, notamment par l’aviation civile, qui propose parfois des salaires avec lesquels ne peut rivaliser le ministère de la défense.
Cette situation oblige à « surrecruter », comme l’expliquait le chef d’état-major de l’armée de l’air, le général d’armée aérienne Stéphane Mille, en novembre 2023, devant la commission des affaires étrangères du Sénat. « J’ai dû renouveler 30 % des effectifs de l’armée de l’air et de l’espace en quatre ans : ce n’est pas soutenable dans la durée. Il nous faut ralentir cette tendance », regrettait-il.
Les métiers les plus en tension sont les plus pointus : mécanicien radars, mécanicien avionique, contrôleur aérien, ainsi que toutes les spécialités du domaine informatique, hormis le cyber. « En clair tous ceux pour lesquels on est en concurrence direct avec le privé », note un officier. Pour sa nouvelle campagne, l’armée de l’air a ainsi fait le choix de valoriser ses « 50 métiers », plutôt que ses pilotes, pour lesquels elle n’a pas de problèmes de recrutement.
La nécessité de « surrecruter » embouteille par ailleurs son outil de formation. A l’école des sous-officiers de Rochefort (Charente-Maritime), les recrutements sont ainsi passés de 700 en 2014 à plus de 1 800 en 2023 alors que les locaux ne sont pas prévus pour. Le système atteint « ses limites », relevait, en octobre, le député Rassemblement national du Var Frank Giletti, dans son avis sur la préparation des forces de l’armée de l’air, lié au projet de loi de finances pour 2024.
Cette tension n’épargne pas les pilotes. Or, le nombre d’instructeurs et d’avions d’entraînement n’a pas augmenté en proportion, engendrant des délais d’attente d’un à deux ans, avec des jeunes pilotes parfois payés à ne rien faire ou envoyés dans des missions éloignées de leur cœur de métier. « La situation est en train de se résorber », assure-t-on à l’état-major.
Impact sur l’aide à l’Ukraine
Ces tiraillements sont allés jusqu’à avoir un impact sur l’aide militaire à l’Ukraine. Afin de ne pas surcharger encore plus ses filières de recrutement et risquer de décourager ses recrues, l’armée de l’air a dû trouver un arrangement avec le Royaume-Uni pour retarder la formation des futurs pilotes de F-16 réclamés par Kiev. Londres – qui a les mêmes problèmes de recrutement et d’entraînement – a pris en charge leur formation initiale, en attendant que les Français désengorgent leurs cursus. Chose qui devrait être faite dans les prochaines semaines.
« L’attractivité des armées, un déclic qui reste à trouver », c’est le titre qu’avait donné les sénateurs Jean-Pierre Grand (Horizons, Hérault) et Marie-Arlette Carlotti (Parti socialiste, Bouches-du-Rhônes), à leur avis sur le projet de loi de finances 2024 concernant le programme « 212 », qui réunit les dépenses liées aux ressources humaines des armées. Cette note évoquait notamment la « sous-exécution systématique du schéma d’emploi »des armées depuis 2021, marqué, pour toutes ces raisons, par une baisse des effectifs du ministère au lieu d’une hausse. Mercredi 7 février, la commission de la défense de l’Assemblée a annoncé le lancement d’une mission d’information sur les problèmes de recrutement au sein des armées. Elle devrait rendre ses conclusions d’ici à l’été.