Source: Le Monde
La Commission européenne doute de la viabilité de Corsair
Bruxelles critique le plan présenté par l’Etat pour relancer la compagnie aérienne spécialisée dans les liaisons vers l’outre-mer
Guy Dutheil
La mauvaise passe se poursuit pour Corsair. En février, la Commission européenne avait annoncé l’ouverture d’une enquête approfondie sur les modalités du plan de restructuration de la compagnie aérienne spécialisée dans les liaisons vers l’outre-mer, présenté le 18 décembre 2023. Deux mois plus tard, après examen, la Commission a étrillé, vendredi 5 avril, le plan présenté par l’Etat pour remettre Corsair sur pied, qui prévoit notamment l’abandon ou le renoncement à 147 millions d’euros de dette fiscale ou sociale.
L’avenir de Corsair semble désormais plus que sombre. « La Commission doute en particulier du rétablissement de la viabilité à long terme » de la compagnie aérienne, explique sans fard Bruxelles, qui ne semble pas croire que Corsair puisse exercer son activité sans un apport financier récurrent de l’Etat. Alors que Bruxelles cherche en vain « l’existence de mesures suffisantes visant à limiter les distorsions de concurrence », Corsair « aurait potentiellement obtenu des aides d’Etat additionnelles durant la période de restructuration ». Des subsides dont les compagnies concurrentes auraient été privées.
La direction de Corsair a pris « acte de la communication de la Commission européenne » et se veut « confiant[e] dans la validation de son plan de restructuration ajusté », affirme-t-elle dans un communiqué publié vendredi. Pourtant, dans son rapport, la Commission signale « un nombre de lacunes » dans le plan présenté par l’Etat tout en s’interrogeant sur les mesures prises par l’entreprise pour renouer avec la rentabilité.
Pour justifier l’importance et le maintien de son aide financière, l’Etat avait souligné le rôle de la compagnie auprès de nombre d’acteurs économiques ultramarins. Etrangement, s’étonne la Commission européenne, « les mesures commerciales prises par Corsair afin de renouer avec la rentabilité vont précisément dans le sens contraire ».
En effet, plutôt que de se développer vers les départements et territoires d’outre-mer, la compagnie « envisage un redéploiement partiel » de certaines de ses capacités vers des destinations en Afrique francophone.
Audition des rivaux
Les pouvoirs publics justifient cette stratégie par la féroce concurrence qui oppose les cinq compagnies (Air France, Air Caraïbes, French Bee, Air Austral et Corsair) desservant les Antilles, la Guyane et La Réunion. A Bruxelles, on considère ce virage stratégique comme problématique. En 2020, la Commission avait donné son accord à la première version du plan de restructuration de Corsair, principalement pour l’apport de la compagnie au développement du tissu économique ultramarin.
Dubitative sur le redressement de l’activité économique de Corsair, Bruxelles doute aussi que l’Etat soit un jour remboursé. Pour la Commission, la clause de retour à meilleure fortune est « hypothétique » et « limitée » à quelques millions d’euros tandis que l’addition des « aides étatiques avoisinerait les 200 millions d’euros depuis 2020 ». Même en cas de restructuration réussie, les pouvoirs publics ne retrouveraient pas leur mise, dénonce Bruxelles. Et de souligner qu’à l’inverse, « pratiquement tout le bénéfice de celle-ci [la compagnie] reviendrait, dans la configuration actuelle, aux actionnaires (privés) existants et futurs ». Alors même que leur apport financier reste très limité, estime la Commission.
Comparé aux 200 millions d’euros des pouvoirs publics, le groupe Marietton, holding de tête d’Havas Voyages, ne devrait investir encore environ qu’une dizaine de millions d’euros pour porter sa participation autour de 18 %, selon nos informations. Tout comme la République du Congo-Brazzaville, qui devrait débourser autour de 15 millions d’euros pour une participation cantonnée sous les 40 %, comme l’exige la réglementation européenne.
Pascal de Izaguirre, PDG de Corsair, veut encore croire qu’il pourra « convaincre la Commission européenne du bien-fondé et du sens de notre projet, au niveau opérationnel, économique et financier ». Après la phase d’examen du plan de restructuration, Bruxelles va maintenant auditionner les rivaux de Corsair. Si Air France et Air Austral ont reçu des aides financières des pouvoirs publics, Air Caraïbes et French Bee, les deux compagnies du groupe Dubreuil, n’ont pas bénéficié d’un tel plan de restructuration.