Source: Le Monde
L’audition calamiteuse du patron de Boeing face au Sénat américain
Dave Calhoun devait s’expliquer sur les défaillances du 737 Max
Arnaud Leparmentier
NEW YORK – correspondant
Espérait-il apaiser l’ardeur des sénateurs ? Toujours est-il que Dave Calhoun, le PDG de Boeing depuis 2020, a entamé son audition au Sénat, mardi 18 juin, en présentant ses excuses aux familles des victimes du double crash du Boeing 737 MAX 8, sur un vol Lion Air en 2018 et un vol Ethiopian Airlines en 2019, qui brandissaient les photographies de leurs proches. « Je m’excuse pour la douleur que nous avons causée, et je veux que vous sachiez que nous sommes totalement mobilisés, en leur mémoire, à travailler et à nous concentrer sur la sécurité », a commencé M. Calhoun.
Puis, ce fut la descente aux enfers, d’autant qu’un lanceur d’alerte avait fait de nouvelles révélations sur des défaillances cachées aux régulateurs. Finalement, M. Calhoun a-t-il rencontré des lanceurs d’alerte ? Non. Les sénateurs lui suggèrent que ce serait une « bonne idée ». Combien de dirigeants ont été sanctionnés pour avoir traqué les lanceurs d’alerte ? Il ne le sait pas. Les indemnités payées aux victimes ont-elles été déduites fiscalement ou payées par les assurances ? M. Calhoun n’en a pas le détail.
Pendant toute l’audition, la première depuis l’incident d’Alaska Airlines, le président de Boeing a asséné des généralités, alors qu’aux problèmes de conception par les bureaux d’ingénieurs des 737 MAX s’est ajouté le problème de fabrication industrielle qui a conduit à l’arrachage, début janvier, d’une porte d’un 737 MAX 9 d’Alaska Airlines – les vis enlevées pour une réparation n’avaient pas été remises en place.
Récemment, on a appris que du titane contrefait produit par un sous-traitant chinois avait été utilisé dans le fuselage des avions Boeing et Airbus, mais Boeing n’en avait rien su, car le matériel était fourni par un fournisseur de fournisseur. « Notre culture est loin d’être parfaite, mais nous prenons des mesures et nous progressons », a répété M. Calhoun. « Vous et votre conseil d’administration avez un devoir envers vos actionnaires, mais ils seront profondément mal servis si vous ne parvenez pas à corriger le tir et à vous attaquer à la cause profonde de cette culture de sécurité défaillante », avait déclaré d’emblée le sénateur démocrate du Connecticut et président de l’audition, Richard Blumenthal.
Réponses lénifiantes
L’hallali a été donné par le républicain Josh Hawley (Missouri), qui a demandé à M. Calhoun s’il méritait sa rémunération de 32,8 millions de dollars (30,6 millions d’euros). « Une hausse de 45 % », a rappelé M. Hawley, qui a énuméré ses griefs face aux réponses lénifiantes du PDG. « Vous faites l’objet d’une enquête pour falsification des rapports d’inspection du 787. Boeing fait l’objet d’une enquête criminelle pour le vol d’Alaska Airlines. Vous avez fait l’objet d’une enquête du ministère de la justice pour conspiration criminelle visant à frauder la FAA [Federal Aviation Administration] », a accusé le sénateur.
« Vous vous concentrez sur ce pour quoi vous avez été embauché, c’est-à-dire que vous faites des économies. Vous éliminez les procédures de sécurité. […] Vous essayez de tirer le maximum de profit possible de cette entreprise. Vous exploitez Boeing jusqu’à la moelle », a accusé Hawley, qui a demandé au patron pourquoi il n’avait pas démissionné. « Sénateur, je m’en tiens à cela. Je suis fier d’avoir accepté ce poste. Je suis fier de notre bilan », a osé M. Calhoun. « Franchement, monsieur, je pense que c’est une mascarade », a jugé le sénateur.
La tension reste considérable alors que le ministère de la justice doit décider s’il lance des poursuites pénales contre l’entreprise. Pendant ce temps, Boeing cherche un successeur à M. Calhoun, censé quitter ses fonctions à la fin de l’année, mais les candidats ne se pressent pas. Le patron de General Electric, Larry Culp, a déclaré qu’il restait chez GE. David Gitlin, PDG du fabricant Carrier Global, a demandé que son nom soit retiré de la liste des prétendants. En interne, Stephanie Pope, nouvelle directrice des opérations, n’est pas ingénieure. « La recherche d’un nouveau PDG chez Boeing rencontre des écueils », titrait pudiquement le Wall Street Journal.