Source: Le Monde
Une mission vers la prometteuse Europe
Astronomie
La NASA envoie, le 10 octobre, une sonde pour explorer ce satellite glacé de Jupiter, qui pourrait abriter un océan et des gaz indispensables à la vie
Pierre Barthélémy
Quand, en 1979, les sondes américaines Voyager-1 et 2 survolent Jupiter et son cortège de lunes, les images qu’elles renvoient de l’une d’elles, Europe, étonnent : ce satellite un peu plus petit que notre Lune ne lui ressemble pas du tout. Pas de grands épanchements volcaniques, pas de cratères, mais une intrigante surface bleutée, lisse, parcourue de lignes de fracture d’une couleur tirant vers le brun-rouge.
Europe est une boule de glace dont la croûte craque sous l’effet de marée que lui fait subir la masse de la planète géante. Les scientifiques acquièrent vite la conviction que la glace couve un océan global. Mais, aussi, que celui-ci remonte à la surface par les crevasses rectilignes et que les dépôts rougeâtres en sont les témoins. La promesse océanique se double alors d’un scénario alléchant : et si la vie y était possible ? C’est pour explorer cette hypothèse que la NASA lance, jeudi 10 octobre, une mission ambitieuse baptisée « Europa Clipper », qui quittera la Terre à bord d’une fusée Falcon Heavy de SpaceX.
Europa Clipper part un an et demi après Juice, une mission de l’Agence spatiale européenne (ESA) qui a pour cible principale un autre satellite de Jupiter, Ganymède, lui aussi doté d’un océan enfoui. Cet engouement pour ces lunes glacées et cet espoir d’une vie extraterrestre peuvent surprendre si l’on considère que l’environnement jovien n’est pas des plus accueillants, parcouru de radiations et, surtout, bien éloigné du Soleil : on reçoit là-bas de notre étoile vingt-cinq fois moins d’énergie que sur la Terre.
Rien de grave en réalité. La découverte des fumeurs noirs au fond des océans terrestres, où règne l’obscurité la plus totale, a provoqué « un changement de paradigme sur la question de l’habitabilité : on avait la vie et tout un écosystème sans la moindre lumière, explique Arnaud Boutonnet, responsable analyste de mission pour Juice à l’ESA. La vie a besoin d’eau liquide, du contact avec le sol rocheux pour les nutriments, et d’une source d’énergie. » A défaut de Soleil, les effets de marée que subissent les lunes de Jupiter leur fournissent cette énergie.
Comme l’assure Gina DiBraccio, directrice de la division des sciences planétaires de la NASA, « les scientifiques pensent que Europe est un des endroits les plus prometteurs pour la quête de la vie au-delà de la Terre. Mais soyons bien clairs : Clipper ne cherchera pas la vie proprement dite mais caractérisera l’habitabilité d’Europe. »
Eventuels lacs
La sonde ne va pas se poser, ni forer la glace, ni plonger dans l’océan. Une fois en orbite autour de Jupiter, en 2030, elle se contentera de survoler le satellite et de l’analyser sous toutes les coutures grâce à ses neuf instruments, dont un radar qui aura pour mission de décrire la structure de la croûte et de chercher la présence d’éventuels lacs en son sein.
Autre tâche primordiale assignée à la sonde : comprendre la composition d’Europe et des matériaux brun-rouge qu’on y aperçoit, déterminer la profondeur de l’océan, sa salinité et ses interactions avec la surface. Europa Clipper ne se mettra pas en orbite autour de sa cible, contrairement à ce que fera Juice avec Ganymède, et il y a une bonne raison à cette stratégie : Europe, nettement plus proche de Jupiter, baigne dans un champ de particules très énergétiques qui détruiraient rapidement l’électronique de la sonde si elle y demeurait en permanence. « Avec de simples survols, on descend vers Europe et on ressort vite, ce qui a l’avantage de limiter le flux de radiations », souligne Arnaud Boutonnet.
La mission est passée tout près de la catastrophe avant même son lancement quand, en mai, la NASA a appris par hasard qu’un modèle de transistor dont le vaisseau est abondamment équipé n’était en réalité pas aussi résistant aux radiations que ce que son fabricant prétendait. Un véritable branle-bas de combat s’est ensuivi, avec le risque, s’il fallait changer tous ces éléments, de rater la fenêtre de tir qui se présente en octobre.
Heureusement, les ingénieurs de l’agence spatiale américaine ont mis à profit « un principe de la métallurgie, où l’on chauffe le métal pour qu’il récupère des qualités perdues », précise Arnaud Boutonnet. En chauffant les transistors, ceux-ci devraient donc s’autoréparer au moins partiellement.
Partageons l’optimisme de la NASA et imaginons que la mission réussisse et mette notamment en évidence la présence des fameux Chnops (carbone, hydrogène, azote, oxygène, phosphore, soufre) indispensables à la vie, que se passera-t-il après ? « Vous pouvez parier votre dernier dollar que si Europa Clipper nous dit “oui, ces ingrédients sont là”, nous allons (…)nous battre pour une deuxième mission à la recherche de la vie », a assuré Curt Niebur, responsable scientifique de la mission, lors d’une conférence de presse en septembre.
Il faudra surtout convaincre le contribuable américain : avec une facture finale de 5 milliards de dollars (environ 4,5 milliards d’euros) contre 2 milliards prévus à l’origine, Europa Clipper a explosé son budget et a coûté presque trois fois plus cher que Juice.