Source: Le Monde
Middle East Airlines, rare symbole d’unité dans un Liban en guerre
La compagnie aérienne libanaise est la seule à assurer encore des vols au départ et à l’arrivée de l’aéroport international de Beyrouth
Ghazal Golshiri
BEYROUTH- envoyée spéciale
Al’aéroport international de Beyrouth, malgré la guerre, les vols continuent d’être assurés. Chaque jour, le tableau des arrivées et des départs affiche des destinations du monde entier : Francfort, Paris, Genève, Djedda, Amman, Bagdad, Dubaï… Pourtant, une seule compagnie aérienne commerciale, la libanaise Middle East Airlines (MEA), opère encore. Situé sur la côte, l’unique aéroport civil du pays se trouve à proximité des banlieues sud de la capitale, densément peuplées, où l’armée israélienne multiplie les frappes contre ce qu’elle considère comme des bases du Hezbollah. Depuis le début du conflit, des photos inondent les réseaux sociaux montrant les avions de la MEA qui décollent ou atterrissent – de 32 à 40 vols par jour, soit à peine moins que d’habitude en cette saison –, alors que des panaches de fumée montent vers le ciel.
« Ces jours-ci, j’ai l’impression d’avoir une mission, comme l’armée qui doit défendre le peuple, confie Khalil, steward chez MEA (un pseudonyme, car la compagnie interdit à ses employés de s’adresser aux médias). Nous aussi, nous devons maintenir ce pont aérien pour nos compatriotes. C’est notre façon de dire : “Nous sommes là pour vous !”C’est ce message d’espoir que nous voulons transmettre aux Libanais. »
Sur les réseaux sociaux, les messages de soutien à la MEA fusent. La compagnie, autrefois critiquée pour la qualité de son service, est devenue un symbole d’unité et d’espoir pour une population déçue par ses dirigeants. « Les passagers nous expriment leur gratitude de continuer à voler malgré les risques », explique Khalil, la trentaine, rencontré dans un café de Beyrouth. « Ils sont plus calmes que d’ordinaire, moins exigeants. Par exemple, ils ne se plaignent pas de la réduction de certains services, comme les repas chauds qui ont été supprimés, car la situation a affecté notre personnel de cuisine », précise-t-il, fort de ses dix ans d’expérience au sein de la MEA.
Le prix des billets stabilisé
Lors de la guerre de 2006, l’aéroport de Beyrouth avait été bombardé par l’aviation israélienne dès le deuxième jour du conflit. Cette année, jusqu’à présent, ce seul relais aérien entre le Liban et le reste du monde continue de fonctionner. La compagnie MEA, qui compte environ 700 membres d’équipage et 200 pilotes, a l’assurance que l’Etat hébreu « ne ciblerait pas ses avions ou l’aéroport tant qu’ils seraient utilisés uniquement à des fins civiles », a assuré le capitaine Mohammed Aziz, conseiller auprès de la direction de la MEA, cité par l’agence Associated Press. Or certaines frappes aériennes ont déjà touché des zones proches de l’aéroport, dont celle du 20 octobre, qui a touché la zone côtière d’Ouzaï, tout près de l’aéroport. Ce jour-là, selon le quotidien libanais L’Orient-Le Jour, citant une source sécuritaire libanaise, le trafic aérien n’avait pas été perturbé à cause des frappes.
Depuis le début du conflit, la MEA fait preuve de souplesse envers ses employés. « Certains collègues sont effrayés par les frappes et hésitent à venir travailler. La compagnie permet à ses employés de prendre quelques jours de congé non payé chaque mois », explique Khalil. Plusieurs d’entre eux ont perdu leur maison ou ne peuvent plus rentrer chez eux, en raison des ordres d’évacuation israéliens. « L’une de mes collègues, qui vivait à la Dahiyé [banlieue sud de Beyrouth, cible fréquente de bombardements], est maintenant logée à l’hôtel, raconte-t-il. Dans ces conditions, il est encore plus important d’être présent pour les autres qui ne peuvent venir au travail. Nous avons donc parfois plus de responsabilités. » C’est ainsi que les membres d’équipage, comme Khalil, doivent parfois assumer des tâches qui ne leur incombent pas, comme le nettoyage des cabines.
Le prix des billets a augmenté au début du conflit, en septembre, en raison de la forte demande. Les agences de voyage, quant à elles, ont profité de l’afflux de passagers désireux de quitter le pays pour écouler rapidement leurs quotas de billets. Aujourd’hui, le prix de ces derniers s’est stabilisé. Si les vols au départ de Beyrouth sont pleins, ceux en provenance de l’étranger sont souvent presque vides. « Il y a de l’inquiétude chez mes collègues. Nous ne savons pas combien de temps ce modèle économique pourra tenir », s’inquiète Khalil.
Ses proches, en particulier sa mère, le pressent d’arrêter de travailler à cause des risques liés au conflit. Mais Khalil garde espoir que l’aéroport restera épargné par les frappes. « Il faut être logique : Israël cible le Hezbollah, ils n’ont pas intérêt à attaquer l’aéroport ou les avions de la MEA. »