Source: Le Monde
L’Europe lance sa future constellation de satellites de communication
Face à Starlink d’Elon Musk, les Vingt-Sept vont se doter d’un réseau Internet sécurisé, Iris²
Philippe Jacqué
BRUXELLES- bureau européen
Après deux ans d’âpres négociations, l’Europe lance les travaux industriels pour se doter de sa première constellation souveraine de communication, dite « Iris2 » (pour Infrastructure de résilience et d’interconnexion sécurisée par satellite). Promue par Thierry Breton, alors commissaire européen responsable de l’espace, et actée fin 2022, Iris2 devrait voir le jour d’ici à 2030 et rejoindre les constellations de géolocalisation (Galileo) et d’observation de la terre (Copernicus) déjà gérées par Bruxelles.
L’Union européenne (UE) et l’Agence spatiale européenne (ESA) ont signé, lundi 16 décembre, à Bruxelles, un accord de concession de douze ans pour l’établissement de ce projet avec le consortium SpaceRISE, dirigé par trois opérateurs de satellites, le luxembourgeois SES, le français Eutelsat et l’espagnol Hispasat. Ce groupement comprendra aussi les fabricants de satellites Airbus, Thales Alenia Space et OHB.
La Commission avait engagé initialement les négociations avec ces derniers, mais elle s’était heurtée à leur refus de prendre trop de risques financiers. Ce sont donc les opérateurs qui porteront le risque, en investissant quelque 4,1 milliards d’euros dans un projet public-privé budgété désormais à 10,6 milliards d’euros, contre 6 milliards à son lancement.
En 2023, la Commission s’était engagée à investir 2,5 milliards d’euros sur son budget multiannuel qui s’achève en 2027, tandis que l’ESA apportera 550 millions d’euros. Il manque dès lors encore quelque 4 milliards d’euros pour boucler le tour de table. « Ils seront prévus dans les prochains budgets multiannuels de l’UE, dont le premier commence en 2028 », assure-t-on à la Commission, qui précise qu’ « en cas d’absence de financement supplémentaire, l’UE réduira ses ambitions ».
Malgré les demandes de l’Allemagne ces derniers mois de revoir tout le projet pour en réduire les coûts, la Commission n’a pas souhaité l’abandonner. Et pour cause. « Iris2 protégera nos infrastructures critiques, connectera nos régions les plus éloignées et augmentera l’autonomie stratégique de l’Europe », a insisté, lundi, Andrius Kubilius, le nouveau commissaire européen à la défense et à l’espace. « Dans un monde géopolitique de plus en plus complexe, il est essentiel de garantir la résilience, la sécurité et la rapidité des communications gouvernementales », renchérit Josef Aschbacher, le directeur général de l’ESA.
Mis en orbite par Ariane 6
Les opérateurs vont désormais négocier avec les industriels la fabrication et le lancement des 292 satellites de la future constellation. Ils seront déployés, grâce à 13 lancements de la fusée Ariane 6 échelonnés entre 2029 et 2030, sur plusieurs orbites – basse (10 satellites ultralégers), moyenne (264 satellites de 750 kilos) et haute (18 satellites de 2 tonnes).
Iris2 n’a pas été pensée seulement comme un concurrent de Starlink, fournisseur d’accès à Internet par satellite de la société SpaceX d’Elon Musk, ou de la future constellation Kuiper de Jeff Bezos, le patron d’Amazon, mais surtout comme un moyen d’assurer des communications ultrasécurisées pour les Etats membres, et donc leurs armées. « Ce type de service sera développé bien plus rapidement, assure un responsable européen. Dès 2025, l’Espagne, la France, la Grèce, l’Italie et le Luxembourg mettront en commun leurs satellites géostationnaires pour offrir à d’autres Etats européens un accès à ces services. Progressivement, ces premiers satellites seront enrichis par l’addition d’Iris2. »
Pour les industriels, ce contrat est une bouffée d’air. Avec la transformation du marché, qui privilégie les constellations de centaines de petits satellites développés par Starlink, le besoin de gros satellites s’est effondré, et les grands acteurs européens de l’espace, tels Airbus et Thales Alenia Space, souffrent. Ils ont dû se restructurer, en supprimant pas moins de 4 000 postes sur le Vieux Continent.
« Cette constellation est un enjeu majeur pour l’Europe, assure Philippe Baptiste, le président du Centre national d’études spatiales, qui a engagé d’importants investissements en matière de recherche et développement pour accompagner Iris2. C’est une manière pour les industriels de remonter en compétence et ainsi de rester pleinement dans la course avec les autres grands acteurs du spatial. Un tel projet est une très bonne nouvelle pour l’Europe. »