Source: Le Monde
Le fléau des arnaques à la formation dans les aéroports parisiens
Sous le couvert d’offres d’emploi, des organismes vendent des formations à plusieurs milliers d’euros. Des arnaques pénalisant les clients autant que les entreprises qui recrutent
Noa Moussa
Patricia (qui n’a pas souhaité donner son nom) a toujours rêvé de travailler à l’aéroport, elle qui a arrêté ses études à 15 ans et passé les vingt années suivantes dans la vente. Alors, en janvier, elle a« lâché » son CDI pour se lancer dans l’aéroportuaire. Il a suffi d’une publicité sur Instagram de l’entreprise Safe Handling, promettant un métier entre bagages et foules de touristes, pour que son rêve se mue en arnaque. Ce qui semblait être une offre d’emploi s’est transformé en formation obligatoire pour décrocher un poste, selon l’organisme, facturée « 1 900 euros les cinq semaines », précise Patricia, gênée de s’être « fait avoir ». A la fin, elle n’a « plus eu de nouvelles d’eux ». A ce jour, la trentenaire n’a pas retrouvé d’emploi.
Entre les vraies propositions d’embauche et celles publiées par les organismes de formation pour appâter leurs futurs clients, décrocher un poste en tant qu’agent aéroportuaire relève du coup de chance. Sur le site d’offres d’emploi Indeed, les annonces d’agent d’escale, d’accueil, de piste ou de nettoyage à Orly et Paris-Charles-de-Gaulle se ressemblent toutes. S’il est possible de postuler en quelques clics sur la plateforme, c’est lors de l’entretien physique ou par téléphone que le piège se referme. Peu importe son expérience, il faudra forcément passer par une formation payante, finançable par le compte professionnel de formation (CPF). « On m’a assuré que j’allais être embauchée directement après, j’y ai cru », témoigne Linda (le prénom a été changé), qui a déboursé 1 700 euros pour deux semaines et demie de cours chez Safe Handling. Contacté, l’organisme n’a pas répondu à nos questions.
Attestations douteuses
« C’est frauduleux, il n’y a aucun doute », assure Bérengère Greil, avocate en droit des affaires. Publier une offre alors qu’il n’y a pas de poste à la clé relève de « la publicité trompeuse », selon la juriste, un délit passible d’une peine de deux ans de prison et de 300 000 euros d’amende. « Il s’agit aussi d’une fraude au CPF s’il a été utilisé pour régler le montant de la formation ou d’une fraude au consommateur », si celui-ci a contracté un prêt à la consommation, explique Me Greil.
Pour limiter la profusion des fausses annonces, Indeed dispose « d’une équipe dédiée » qui « supprime chaque mois des dizaines de millions d’offres qui ne répondent pas aux critères de qualité ». Parmi elles, les annonces avec « des formations obligatoires à charge des chercheurs d’emploi », révélatrices « de pratiques abusives de la part des employeurs ».
Concernant le CPF, qui dépend du ministère du travail, c’est la Caisse des dépôts et consignations qui se charge des contrôles. Mais, comme pour Indeed, la traque aux arnaques repose également sur les signalements faits par les utilisateurs. En 2024, 9 602 alertes ont ainsi été lancées par des particuliers, dont 5 % pour des pratiques commerciales frauduleuses. De plus, sur son site Internet, Safe Handling promet des diplômes reconnus par l’Etat. Pourtant, Linda et Patricia n’ont reçu que des attestations de formation, sans mention de l’Etat. Cela « prête à confusion », reconnaît le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Un diplôme reconnu par l’Etat doit « systématiquement » mentionner « un visa ministériel ou un enregistrement au répertoire national des certifications professionnelles », ce qui n’est pas le cas sur les documents que Le Monde a pu consulter.
Ces attestations sont d’autant plus douteuses, qu’elles sont inutiles pour travailler à l’aéroport. Le groupe ADP (ex-Aéroports de Paris) sous-traite une grande partie de ses recrutements à la vingtaine d’entreprises prestataires de services, membres de l’association Aerowork. « On reçoit toutes les semaines des gens qui font des crédits à la consommation, qui vident leur CPF, pour des contenus qui ne correspondent pas à nos attentes », raconte Marc Deman, le fondateur d’Aerowork. Pour les métiers en contact avec les touristes, la maîtrise de l’anglais est indispensable, mais à peine abordée lors des formations payantes.
« Il n’y a absolument pas besoin de payer pour travailler chez nous », insiste Christophe Blondel Deblangy, secrétaire général de Groupe Europe Handling, qui déploie 3 500 salariés chez ADP. Une fois recrutés, les salariés font jusqu’à trois semaines de cours avec l’IFMA – leur centre de formation partenaire – tout en étant rémunérés au smic. La formation « d’intégration » dure deux semaines chez Otessa (550 salariés chez ADP) et entre cinq jours et trois semaines chez Aeria (1 100 postes chez ADP), pris en charge par la société ou par France Travail. Pour les recruteurs, il s’agit d’être certains que les salariés correspondent aux attentes du cahier des charges d’ADP.
« De la colère »
Dans le bureau des ressources humaines, les candidats aux attestations de formations payantes défilent. « Pour eux, on doit les embaucher directement, raconte Mme Michel. C’est normal car c’est ce que les organismes leur ont vendu au départ. » Cette situation crée « beaucoup de déception, voire de la colère » chez des personnes souvent « fragiles, éloignées de l’emploi et vivant à côté des aéroports parisiens », souligne Emmanuelle Navailles, responsable RH chez GSF. Ainsi, pour répondre aux besoins de main-d’œuvre d’un secteur aéroportuaire sous tension, le Campus Paris-Orly by FDME, la Faculté des métiers de l’Essonne, va ouvrir ses portes en septembre aux « jeunes riverains de l’aéroport d’Orly ». Groupe Europe Handling et GSF feront partie des prestataires en collaboration avec ce centre de formation en apprentissage – donc sans frais pour les élèves – et qui délivre des diplômes reconnus par l’Etat.
Voir l’association https://www.aerowork.fr/