Source: Le Monde
La « Luxembourg connection » sur orbite
PERTES & PROFITS | SATELLITES
Par Isabelle Chaperon
La leçon a été retenue. Depuis qu’en février Donald Trump a menacé d’interrompre l’accès des troupes ukrainiennes au réseau Starlink, l’Europe met les bouchées doubles pour tenter de bâtir une alternative à l’opérateur satellitaire d’Elon Musk. Et même la très pointilleuse direction de la concurrence de la Commission européenne évolue sur la même position orbitale.
Mardi 10 juin, la Commission a approuvé « sans condition » le rachat de l’américain Intelsat par le luxembourgeois SES. Il ne manque plus désormais que le feu vert des autorités américaines pour que cette acquisition à 2,8 milliards d’euros, annoncée en avril 2024, se réalise. Bruxelles a estimé que le rapprochement ne poserait « aucun problème de concurrence », compte tenu de la compétition exercée par la fibre terrestre, d’un côté, et par les infrastructures en orbite basse, comme celle de Starlink.
L’Europe disposera ainsi de deux grands opérateurs de satellites : SES-Intelsat et sa flotte combinée de 130 satellites entre 8 000 et 36 000 kilomètres de la Terre et le franco-britannique Eutelsat qui, depuis le rachat de OneWeb en 2023, affiche, en plus de ses 35 satellites géostationnaires, 630 engins tournant à 1 200 kilomètres au-dessus de nous. On est loin des 7 000 satellites envoyés par Starlink en cinq ans, auxquels vont s’ajouter ceux lancés par Jeff Bezos.
Endettement trop élevé
Il faut donc investir davantage, mais les deux européens croulent déjà sous le poids d’un endettement trop élevé. Eutelsat cherche à lever des fonds ce qui, selon Bloomberg, pourrait amener l’Etat français à porter sa part au capital à 30 % (contre près de 14 %). A travers la constellation Iris2, l’Europe soutient aussi ses champions. La préférence européenne trouve vite ses limites, toutefois, comme le montre la décision d’Air France de confier à Starlink son offre de Wi-Fi en vol.
Faudra-t-il unir nos forces dans un « Airbus de l’Espace » ? Une fusion entre SES et Eutelsat a déjà été tentée plusieurs fois. Jusque-là, les négociations avaient buté parce que le Luxembourg voulait garder la main sur son opérateur satellitaire. Le Grand-Duché estime avoir été trahi par les Français lors du rachat du sidérurgiste Arcelor (propriétaire des aciéries luxembourgeoises) par l’indien Mittal en 2006. Eutelsat, pas convaincu non plus par l’intérêt de l’opération, avait préféré décliner. Les impératifs stratégiques peuvent changer, la méfiance restera.