Contrôle aérien

Source Le Monde

Aiguilleurs en grève, pagaille dans le ciel

Les compagnies aériennes vont réduire leurs programmes de vols de 25 % à Roissy et à Orly, jeudi

Guy Dutheil

Des vols retardés, d’autres tout simplement annulés, des passagers qui se bousculent dans les aéroports, c’est le programme qui attend les premiers vacanciers de juillet. Deux syndicats de contrôleurs aériens, UNSA-ICNA et l’USAC-CGT, ont appelé leurs adhérents à faire grève les jeudi 3 et vendredi 4 juillet. Ces arrêts de travail ne sont pas choisis au hasard : ces deux dates devraient être les journées les plus chargées de l’année dans les aéroports, explique Groupe ADP, gestionnaire des deux plateformes parisiennes de Roissy-Charles-de-Gaulle et d’Orly. Plus de 230 000 passagers par jour à Roissy et plus de 120 000 à Orly sont attendus jeudi et vendredi.

Le Syndicat national des contrôleurs du trafic aérien (SNCTA), majoritaire, ne s’est pas joint à l’appel à la grève lancé par les deux organisations minoritaires. Aux dernières élections, l’UNSA-ICNA et l’USAC-CGT ont recueilli respectivement 17 % et 16 % des voix. Il n’empêche, d’importances perturbations sont à prévoir. Surtout pour les vols à destination du sud de l’Europe. En effet, l’UNSA-ICNA est bien implanté dans certains centres de contrôle, comme à Aix-en-Provence.

En vertu de la loi Diard, qui oblige les salariés à se déclarer quarante-huit heures avant le début d’une grève, la direction générale de l’aviation civile (DGAC) devait connaître le pourcentage de grévistes, au plus tard, mercredi à minuit. Si, mercredi matin, aucun chiffre n’était encore communiqué, elle prévoit déjà d’« importantes perturbations » et donc un grand nombre d’annulations et de retards de vols.

Mardi, la DGAC a ainsi demandé aux compagnies aériennes de réduire jeudi de 50 % leur programme de vols pour les aéroports de Nice, Bastia et Calvi, de 30 % à Lyon, Marseille, Montpellier, Ajaccio et Figari et, enfin, de 25 % à Roissy, Orly et Beauvais.

Pour tenter de minimiser les conséquences de la grève, c’est-à-dire le nombre de vols qu’elle demandera d’annuler aux compagnies aériennes opérant en France, la DGAC réfléchissait, mardi, à réduire au maximum l’activité de l’aviation d’affaires. Air France, qui gère environ mille vols par jour en cette période estivale de grands départs, s’attend à un fort impact, surtout à Orly et à Nice. Deux des places fortes de la compagnie et de sa filiale à bas coûts, Transavia.

Premier syndicat à déposer un préavis de grève, « l’UNSA-ICNA dénonce un management toxique et la défaillance dans la conduite des projets ». Il souligne aussi un « non-rattrapage de l’inflation ». Une « promesse » formulée lors des négociations salariales de 2023, signale encore le syndicat. De son côté, l’USAC-CGT réclame « l’arrêt de la politique dogmatique de suppression annoncée du service du contrôle aérien dans plus d’une vingtaine d’aérodromes ».

Les services de navigation aérienne sont, en effet, engagés dans une vaste réforme pour faire face à la forte croissance du trafic, éviter les retards et préserver la sécurité. Un plan d’envergure, prévu sur cinq ans, qui pourrait se traduire par la fermeture du quart des tours de contrôle entre 2028 et 2035, sachant que la France compte « trois à quatre fois plus de tours de contrôle que partout ailleurs en Europe », insiste-t-on à la DGAC.

Mise en place de pointeuses

La DGAC souhaite aussi réduire le nombre de centres de contrôle d’approche. Affectés à la gestion des vols en approche de quelque 70 aéroports, ces centres devraient passer de 30 à 16. Ce sont les plus petits sites, tels ceux de Deauville, de Metz ou de Dole-Jura qui accueillent chaque année moins de 150 000 passagers, qui seront visés faute de trafic suffisant.

Outre les conséquences de cette réforme sur l’emploi, les syndicats font remarquer que si les autorités veulent mettre le contrôle aérien français au niveau européen, elles ne sont pas enclines à harmoniser les salaires. Les aiguilleurs français sont payés en moyenne 5 000 euros net par mois, soit deux à trois fois moins que dans les grands pays européens, relève le SNCTA.

Autre motif de cette mobilisation : « Le contrôle de présence des contrôleurs », selon les termes de la DGAC. Le Bureau d’enquêtes et d’analyses (BEA) a, en effet, recommandé en 2023, la mise en place de pointeuses – en pratique il s’agit de badgeuses biométriques – pour contrôler la présence effective des aiguilleurs du ciel sur leur lieu de travail.

Cette injonction fait suite à une catastrophe évitée de justesse le 31 décembre 2022 à l’aéroport de Bordeaux. Ce jour-là, un Airbus d’easyJet, en provenance de Londres et en phase d’atterrissage, avait failli entrer en collision avec un avion de tourisme qui attendait l’autorisation de décollage sur la même piste. Pas assez nombreux dans la tour de contrôle de l’aéroport, les aiguilleurs du ciel, occupés à d’autres tâches, avaient, un instant, oublié la présence du petit aéronef.

Pour le BEA, cet incident est lié à la pratique de la clairance. Un usage de longue date, non officiel, qui permet aux contrôleurs aériens d’être moins nombreux que prévu à leurs postes lorsque le trafic aérien attendu est faible et donc de réduire leur temps de travail. A Bordeaux, ce 31 décembre seuls trois aiguilleurs sur six étaient à leurs postes.

La DGAC n’entend pas céder aux syndicats : « Ces mesures étant essentielles pour respecter la réglementation européenne et renforcer la sécurité du contrôle aérien », a-t-elle encore souligné mardi soir.