L’OTAN révèle ses faiblesses face aux drones russes

L’intrusion dans l’espace aérien polonais, mercredi, a provoqué une réponse coûteuse et inadéquate
Chloé HoormanEt Élise Vincent
Alors que le Conseil de sécurité des Nations unies devait se réunir, vendredi 12 septembre, pour évoquer la violation, mercredi matin, de l’espace aérien de la Pologne par des drones soupçonnés d’avoir été tirés par la Russie, cet incident, le premier du genre depuis le début de la guerre en Ukraine, a révélé les grandes faiblesses de l’OTAN dans la lutte contre les drones. La mobilisation d’importants moyens aériens (dont des chasseurs, des avions-radars de type Awacs et des ravitailleurs) a mis au jour la flagrante inadéquation des capacités des alliés face à ce risque. La décision d’Emmanuel Macron, jeudi soir, d’envoyer trois chasseurs Rafale en Pologne, ne devrait pas bouleverser la donne, pas plus que la mise à disposition, par la République tchèque et les Pays-Bas, de trois hélicoptères et de nouvelles batteries antiaériennes Patriot. « En une nuit, des millions d’euros ont été dépensés en missiles pour abattre des drones qui coûtent chacun 100 000 euros. Combien de temps cela peut-il durer ? », interroge un spécialiste des questions aériennes.
Pour mieux repérer d’autres éventuelles salves de drones, Varsovie a introduit, jeudi, des restrictions sur son trafic aérien. Ces mesures, en vigueur jusqu’au 9 décembre, visent les petits avions et les hélicoptères qui circulent à basse altitude, comme c’est souvent le cas des drones. D’autres décisions pourraient être prises dans les jours qui viennent, dans un contexte d’autant plus tendu que d’importants exercices militaires russo-biélorusses, « Zapad-2025 » (« ouest-2025 ») devaient débuter, vendredi, en Biélorussie.
Ces décisions dépendent en partie des résultats de l’enquête lancée par le secrétaire général de l’OTAN, Mark Rutte. Depuis le début de cette crise, la Russie dément tout caractère intentionnel à cet incident. Mais, selon le quotidien allemand Die Welt, qui a eu connaissance des premiers retours des investigations, la salve de drones ayant pénétré en Pologne était constituée de près de 25 appareils, et certains se dirigeaient droit vers l’une des principales bases de l’OTAN qui achemine l’aide à l’Ukraine.
Les débris retrouvés ne contenaient pas d’explosifs, mais les appareils visaient à tester la vitesse et les moyens de réaction des alliés, considèrent les experts. Selon nos informations, le 4 septembre, les alliés avaient déjà hésité à détruire deux drones qui avaient pénétré dans l’espace aérien polonais, mais ils étaient repartis ensuite vers l’Ukraine.
« Capteurs acoustiques »
La défense sol-air des membres européens de l’OTAN a toujours été organisée en trois strates. Contre les missiles balistiques de très longue portée, la défense européenne s’appuie principalement sur le « bouclier » américain Aegis Ashore, qui comprend deux sites en Roumanie et en Pologne.
La défense sol-air de moyenne et longue portée, elle, repose pour beaucoup sur les systèmes Patriot ou leur équivalent. Pour intercepter des cibles aériennes à courte distance – quelques kilomètres –, l’arsenal occidental est relativement étoffé, avec toute une gamme de systèmes sol-air légers pouvant être portés à l’épaule, positionnés au sol ou montés sur des véhicules. Mais ils ne constituent pas, à ce jour, une « bulle » de défense étanche sur toutes les frontières de l’OTAN, et sont d’abord conçus pour de la défense antimissile, l’autre menace qui a explosé depuis le début de la guerre en Ukraine – pas pour intercepter des salves de drones.
Si des systèmes antidrones existent pour protéger des infrastructures de la taille d’une base militaire, d’un stade ou d’un groupe de soldats, les alliés sont aujourd’hui contraints de s’en remettre à leur aviation de chasse avec des missiles embarqués, comme ce fut le cas en Pologne. « Depuis la fin de la guerre froide, l’idée des alliés a toujours été d’intercepter les projectiles avant qu’ils n’arrivent sur leur territoire, ce qui explique qu’ils aient longtemps peu investi dans la DAS [défense sol-air] », souligne un expert.
Pressés par l’urgence, les états-majors occidentaux pourraient recourir à des solutions plus rudimentaires mais innovantes déployées en Ukraine. Baptisées « Sky Fortress » ou « Zvook » (« son », en ukrainien), elles reposent sur le déploiement de milliers de « capteurs acoustiques » sur de vastes étendues de territoire, notamment dans l’ouest du pays, capables de détecter le bruit émis par les drones. Elles fonctionnent avec des poteaux de moins de deux mètres de hauteur, au sommet desquels est placé un capteur qui envoie les données à un système centralisé. Lui-même prévient ensuite des unités sur le terrain.
Le coût unitaire de ces antennes ne dépasse pas quelques centaines de dollars, selon les Ukrainiens. L’ensemble du réseau coûterait ainsi à peine plus cher qu’un seul missile Patriot (soit 3,4 millions d’euros, pour la version la plus récente). Le système a été adoubé par les Américains qui l’ont déjà testé sur la base de Ramstein, en Allemagne. Reste à savoir si les alliés seraient prêts, comme les Ukrainiens, à déployer des soldats équipés de grosses mitrailleuses pour faire la chasse aux drones.
Cette solution a aussi été testée récemment à grande échelle en Estonie par l’OTAN. « Quelque 600 capteurs acoustiques ont été achetés à l’Ukraine. Depuis, quatre pays sur 32 alliés se sont montrés intéressés et sont en discussion », détaille au Monde l’amiral français Pierre Vandier, à la tête du commandement chargé de l’innovation à l’OTAN, notamment de l’intégration des évolutions technologiques expérimentées par les Ukrainiens. « Il n’y a toutefois pas de solution magique », prévient l’amiral, qui estime que l’efficacité viendra de la combinaison des moyens nouveaux et traditionnels, comme les avions, et de la taille de l’enveloppe financière qui y sera accordée.
Notifications sur les téléphones
Face à l’urgence, le financement d’une première solution a néanmoins été retenu, mercredi, par la Commission européenne. Ce système, appelé « Wall of Drones », consiste à prépositionner des dizaines de drones dans un site vulnérable et à les mettre en vol de manière simultanée en cas de repérage d’un engin menaçant. « Les appareils forment alors une forme de barrage autour du site, se mettent sur la trajectoire du drone et, par simple contact, sont à même de le détruire », reprend l’amiral qui a dirigé des tests sur le sujet.
La Lituanie est le premier pays européen à avoir annoncé, en juillet, qu’elle allait déployer « Sky Fortress », en 2026. Le ministère de l’intérieur lituanien a également fait savoir, après l’incursion de drones en Pologne, que les Lituaniens seraient désormais prévenus de toute irruption d’un objet dangereux dans leur espace aérien, par des notifications sur leur téléphone et des sirènes. En juillet, deux drones de type « Gerbera » avaient pénétré dans le ciel de Vilnius depuis la Biélorussie. L’un d’eux transportait 2 kilos d’explosifs.