Airbus Leonardo Thales: une union possible

https://www.airbus.com/en/newsroom/press-releases/2025-10-airbus-leonardo-and-thales-sign-memorandum-of-understanding-to

https://www.lemonde.fr/economie/article/2025/10/23/airbus-thales-et-leonardo-s-allient-pour-creer-un-geant-europeen-du-spatial_6648967_3234.html

Thales, Airbus, et Leonardo se marient dans les satellites

Les trois européens créent une société au chiffre d’affaires attendu de 6,5 milliards d’euros

Olivier Pinaud (Le Monde)

Vingt-cinq ans après la création d’EADS, rebaptisée Airbus en 2013, un nouveau mariage anime le secteur aérospatial européen. Après plus d’un an de négociations, les trois grands fabricants de satellites, le franco-germano-espagnol Airbus, le français Thales et l’italien Leonardo, ont signé, le 23 octobre, un protocole d’accord en vue de rapprocher leurs activités spatiales. « Ce projet constitue une avancée majeure pour renforcer l’écosystème spatial européen, accroître sa capacité d’innovation, son autonomie stratégique et sa compétitivité », affirment les trois partenaires.

La nouvelle entreprise, dont le nom n’est pas encore connu, pourrait être opérationnelle en 2027. Elle aura son siège à Toulouse et emploiera 25 000 personnes en Europe. Son chiffre d’affaires annuel s’élèvera à environ 6,5 milliards d’euros avec un carnet de commandes représentant plus de trois années d’activités. Elle sera détenue quasiment à parts égales par les trois partenaires : Airbus aura 35 % du capital, Leonardo et Thales 32,5 % chacun. Des paiements en numéraire pourraient intervenir à la signature finale en fonction de la valeur de chaque entité. « Elle fonctionnera sous le contrôle conjoint des trois groupes, avec une gouvernance équilibrée entre ses actionnaires », indiquent-ils, sans plus de précision. Thales et Leonardo sont déjà associés dans le spatial depuis 2007 au travers de Thales Alenia Space et Telespazio.

« Ce projet générera des opportunités additionnelles de croissance du chiffre d’affaires grâce à un portefeuille élargi de produits et services intégrés permettant de proposer une offre plus compétitive au niveau mondial », espèrent les trois groupes. « Des synergies opérationnelles », autrement dit des économies, « notamment en ingénierie, production et gestion de projets, devraient à terme favoriser la création de valeur ». Enfin, « l’opération devrait permettre de générer des synergies annuelles totales de plusieurs centaines de millions d’euros sur le résultat d’exploitation cinq ans après sa finalisation ».

Cette union répond à une mutation du marché. Historiquement, les fabricants de satellites produisaient des engins de grande taille destinés à l’orbite géostationnaire (à 36 000 kilomètres de la Terre), pour des opérateurs de télécoms et de diffusion de télévision, comme Eutelsat et SES, ou des services d’observation de la Terre (météo…). Le marché n’était pas immense en nombre mais important en valeur.

Starlink, la constellation de communication en orbite basse (à environ 800 kilomètres de la Terre) d’Elon Musk, a tout chamboulé en multipliant les lancements de petits satellites. Elle a annoncé le 19 octobre en avoir mis plus de 10 000 sur orbite depuis 2019. Les autres opérateurs ont dû basculer vers ce modèle, ce qui a provoqué une phase de flottement et des difficultés pour les fabricants de satellites. L’opérateur français de satellites Eutelsat est en train de créer sa constellation avant que la Commission européenne ne lance la sienne, IRIS², vers 2030.

Acteur dominant

« Les difficultés sur le segment des satellites de communication sont derrière nous et nous nous attendons à une très forte demande sur le segment institutionnel, notamment pour la sécurité et la défense. C’est donc le bon moment pour faire ce rapprochement afin de nous muscler », explique-t-on chez Thales. « Plutôt que d’avoir développé chacun de son côté une nouvelle génération de satellites de télécoms, ce qui a coûté plusieurs centaines de millions d’euros à Airbus et Thales Alenia Space, nous pourrons éviter ces doublons à l’avenir », poursuit ce dirigeant. D’après le cabinet Novaspace, plus de 43 000 satellites doivent être lancés au cours de la prochaine décennie, ce qui représente un marché de 665 milliards de dollars (570,23 milliards d’euros) pour les services de fabrication et de lancement.

L’argument du mariage pour résister aux Américains n’est qu’un « prétexte mensonger », a jugé la CGT-Métallurgie, le 21 octobre, deux jours avant l’annonce du rapprochement. Selon elle, « de l’aveu même de nos dirigeants, Airbus Defence and Space et Thales Alenia Space gagnent presque tous les contrats qu’ils souhaitent et ont un carnet de commandes record qu’ils ont du mal à honorer »« La vraie raison du projet est de créer un monopole permettant d’imposer ses prix et d’affaiblir le pouvoir des agences » spatiales française, CNES, et européenne, ESA, ainsi que « d’augmenter les marges et les bénéfices pour les actionnaires, au détriment de l’intérêt des citoyens, de la gouvernance publique du secteur et de l’emploi »« Les effectifs d’Airbus Defence and Space et de Thales Alenia Space ont déjà diminué de plus de 400 et 700 personnes respectivement depuis début 2024 », a précisé la CGT.

Pascal Bouchiat, le directeur financier Thales, qui présentait, le 23 octobre, les résultats du groupe de défense et d’électronique pour le troisième trimestre, a indiqué que le plan de réduction des postes dans le spatial était réalisé aux trois quarts et qu’il a été « suspendu » avant l’été en raison de la signature d’un premier contrat d’ingénierie pour IRIS², d’un montant de plus de 100 millions d’euros. « Le fait que nous ayons ce premier contrat de développement sur IRIS² n’enlève pas l’ensemble des challenges auxquels cette industrie fait face en Europe. Starlink n’a pas disparu », commente M. Bouchiat.

Pour aboutir, le mariage devra passer l’obstacle de l’autorité européenne de la concurrence qui pourrait voir d’un mauvais œil la constitution d’un acteur dominant. Pour maintenir un degré de compétition suffisant, Bruxelles peut exiger des concessions aux mariés, cessions d’actifs ou restriction d’activités, en faveur de concurrents plus petits, comme l’allemand OHB et le franco-allemand The Exploration Company.