Le Monde
Spatial : l’heure de vérité approche pour les petites fusées françaises
Quatre start-up ont prévu de lancer leur premier vol d’essai en 2026, étape cruciale pour leur avenir
Olivier Pinaud
Ils s’appellent MaiaSpace, HyPrSpace, Latitude et Sirius Space Services et ils ont le même objectif : atteindre l’espace en 2026. S’ils respectent leur calendrier, les quatre projets français de petites fusées réutilisables soutenus par le Centre national d’études spatiales (CNES) réaliseront en 2026 leur premier vol d’essai, étape cruciale pour valider, ou non, la viabilité de leur lanceur, dont les parties critiques (moteur, réservoir ou avionique) n’ont jusqu’à présent été testées que sur des bancs d’essais.
« Nous avons beaucoup progressé en 2025, mais là nous entrons dans le “money time” [“l’heure de vérité”] », reconnaît Yohann Leroy, président exécutif de MaiaSpace, filiale d’ArianeGroup, le fabricant d’Ariane-6. Le premier vol de Maia, prévu fin 2026 du Centre spatial guyanais, sera suborbital, c’est-à-dire sans atteinte de l’orbite. Si tout se passe comme prévu, la première mise en orbite d’un satellite interviendra en 2027. Elle a déjà signé des contrats avec deux clients (Exotrail et U-Space), et un troisième doit être conclu d’ici à la fin décembre.
« Le but du premier tir, c’est de voler le plus haut possible pour récupérer un maximum de données », explique Stanislas Maximin, fondateur et président exécutif de Latitude, pour lequel la possibilité d’un échec fait partie de l’aventure.
« On peut passer des années à faire des calculs et des simulations, mais, dans ce domaine, la certitude n’existe pas. Peu de personnes en France et en Europe savent faire des petits lanceurs car c’est différent techniquement des grosses fusées comme Ariane. Il faut donc inventer de nouvelles méthodes », poursuit le jeune dirigeant (26 ans) qui ne compte plus le nombre de chambres de combustion que ses équipes ont fabriquées, testées, puis refaites.
« Un modèle exotique »
C’est pour pouvoir mener plus facilement ce travail itératif que Sirius Space Services a acheté en juin la SERM, une société d’usinage créée en 1962 qui a notamment travaillé pour l’écurie de formule 1 Alpine. « Un turbo de F1, c’est assez proche d’une turbopompe d’un moteur de fusée », souligne Antoine Fourcade, cofondateur de Sirius, qui ajoute : « La SERM nous permet de maîtriser la fabrication des pièces critiques et de préparer la montée en cadence. »
En travaillant pour d’autres clients, cette société apporte aussi des revenus bienvenus pour financer une partie du développement du moteur Star-1 et de la fusée Sirius-1, dont le premier vol suborbital est espéré fin 2026. Puis viendra, l’année suivante, Sirius-13, un lanceur pouvant emporter jusqu’à 800 kilos de charge utile, contre 180 kilos pour Sirius-1. Pour cela, la société, qui a déjà levé 100 millions d’euros depuis sa création en 2020, prévoit un dernier tour de table de quelques dizaines de millions d’euros.
De l’argent, HyPrSpace en a jusqu’au premier vol, prévu fin 2026, de sa fusée Baguette One : la start-up bordelaise a finalisé, le 17 novembre, une levée de fonds de 21 millions d’euros. Une somme relativement modeste au regard des moyens de ses concurrents, en particulier de MaiaSpace, qui bénéficie du soutien de son actionnaire ArianeGroup, codétenu par les géants Airbus et Safran. Celle-ci a déjà obtenu 125 millions d’euros d’apports, et « un nouveau financement, probablement d’un montant supérieur, doit se décider dans les prochaines semaines », indique Yohann Leroy.
« Nous, nous voulons être le Dacia de l’espace : simple et moins cher », s’amuse Sylvain Bataillard, cofondateur d’HyPrSpace. Son secret : la propulsion hybride de sa fusée, mélange de carburants liquide (oxygène) et solide (polymère). « C’est un modèle exotique, mais on l’assume », explique Sylvain Bataillard. Autre avantage, selon lui : cette technologie permet « d’allumer, éteindre, rallumer, moduler le moteur, et pourrait trouver des débouchés dans l’industrie de défense ».
En gestation
Enthousiastes, ces start-up ne risquent-elles pas de déchanter dans quelques mois ? Le marché des mises en orbite de satellites sera-t-il suffisamment important pour faire vivre autant de fabricants de fusées ? Avec les quatre projets français, on compte près d’une douzaine de lanceurs en gestation en Europe, notamment en Allemagne (Isar Aerospace et Rocket Factory Augsburg), en Espagne (PLD Space) ou au Royaume-Uni (Orbex). Ces quatre sociétés, plus MaiaSpace, bénéficient du soutien financier de l’Agence spatiale européenne.
« Parmi ces initiatives, il y a de la place pour deux lanceurs, mais pas pour cinq, ni même pour quatre ou trois », estime Yohann Leroy. Il espère qu’une « sélection naturelle puisse s’opérer, car si on maintient en vie artificiellement des acteurs, cela tirera le prix de vente des mises en orbite vers le bas et affaiblira tout le monde ». « Des boîtes vont mourir. D’autres vont pivoter vers une autre activité. Et d’autres vont se marier », prédit aussi Stanislas Maximin. Mais, pour le savoir, il faudra attendre le résultat des premiers vols de 2026.