Aviation d’affaires, low cost et pandémie

Source: Le Monde du 8/09

Guy Dutheil

L’ouverture limitée des frontières en sortie de crise pénalise les compagnies positionnées sur le long-courrier

Cet été, le transport aérien a fait le grand écart. Seuls deux types de compagnies ont réussi à tirer leur épingle du jeu. D’un côté les transporteurs à bas coût qui profitent de la réouverture des frontières dans une partie de l’Europe, notamment celle du Sud. De l’autre l’aviation d’affaires, qui a vu affluer, en cette période estivale, une nouvelle clientèle fortunée qui a rempli ses appareils. Preuve de cet engouement soudain pour l’aviation privée, Luxaviation, numéro un mondial du secteur en chiffre d’affaires, présent dans le monde entier et notamment à l’aéroport de Paris-Le Bourget, a ouvert le 1er juillet un nouveau bureau à Cannes.

L’objectif est clair : prendre sa part du flot de touristes aux portefeuilles bien garnis qui se rendent en villégiature sur la Côte d’Azur, à Saint-Tropez ou sur la Riviera. Romain Alati, directeur commercial de Luxaviation France, confirme la bonne fortune de l’aviation d’affaires. « Les mois de juin, juillet et août ont été très bons. Les chiffres sont meilleurs qu’en 2019, dernière année avant la crise, avec une progression globale du chiffre d’affaires de 25 % », ajoute-t-il. « Tous les segments, c’est-à-dire tous les types d’avions, ont bénéficié de ce boom estival », se félicite-t-il.

« Clients nouveaux »

Du petit avion à hélices jusqu’au plus gros des Falcon ou des Gulfstream. Seuls les appareils VIP, les avions de ligne reconvertis en palaces volants – à l’instar d’un Airbus A320 réaménagé avec seulement 26 places à bord mais avec une chambre à coucher – « n’ont pas trop volé cet été ».En cause, la fermeture des vols long-courriers notamment vers les Etats-Unis ou l’Asie. L’embellie constatée par Luxaviation est confirmée par Eurocontrol, l’Organisation européenne pour la sécurité de la navigation aérienne. Selon ses chiffres, arrêtés peu avant la mi-août, le nombre de vols d’avions d’affaires était plus important cet été qu’il y a deux ans à la même époque. Sur une journée moyenne, le nombre de vols était en hausse de 21 % par rapport à 2019. Un regain notable en comparaison de la baisse de 41 % enregistrée le même jour par les compagnies régulières.

Pour Luxaviation, cette hausse saisonnière semble s’inscrire sur une tendance lourde. En avril, mai et juin, la compagnie avait déjà enregistré « une progression de 38 % de ses nouveaux clients », a indiqué Karol Gueremy, PDG de Luxaviation France. Cet été, les prix des billets n’ont pas rebuté les voyageurs des compagnies privées. Pourtant, ils ont dû débourser de 2 000 à 2 200 euros par heure de vol sur les plus petits appareils, et même jusqu’à 15 000 euros sur les avions VIP. En revanche, la nouvelle clientèle a privilégié les destinations-phares de chaque été : Ibiza (Espagne), Mykonos (Grèce), Olbia (Italie), ou encore Saint-Tropez et Monte-Carlo.

Le patron du commercial de Luxaviation se frotte les mains : « Cet été, nous avons enregistré l’arrivée de clients nouveaux qui ne volaient pas chez nous avant la crise. Une clientèle qui a les moyens mais qui fait attention. Cette année, elle a préféré prendre un vol Paris-Toulon en avion privé à 8 000 euros l’aller simple pour quatre à six personnes, plutôt qu’un billet à 800 euros sur une compagnie régulière. » Au grand dam des Air France, Lufthansa et autre British Airways, les nouveaux passagers de l’aviation privée pourraient rester fidèles, à l’avenir, à l’aviation d’affaires.

« Il y a des chances que cette clientèle reste chez nous. Car ils ont goûté à nos avantages et c’est difficile de faire marche arrière », prévoit M. Alati. Parmi ces atouts, « il y a tout le parcours des passagers qui est simplifié », explique le directeur commercial. Au Bourget, pas de files d’attente dans l’aéroport, le parking est à 20 mètres de l’avion. Avec ses 500 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel, dont 40 millions en France, et ses 250 avions de par le monde, Luxaviation compte bien capitaliser sur son essor estival.

Aides financières massives

Pourtant, l’aviation d’affaires n’est pas la seule à avoir réalisé un bel été. Si elle a attiré les plus riches, les compagnies à bas coût ont aussi fait le plein, mais avec des touristes aux moyens plus modestes. A l’exemple de l’irlandaise Ryanair, la plus profitable en Europe. En août, elle a transporté plus de 11,1 millions de passagers, soit un taux d’occupation de 82 %. Son trafic n’est encore qu’à 74 % de son niveau d’avant la pandémie de Covid-19. Mais la progression est notable par rapport à août 2020, quand elle n’avait transporté que 7 millions de passagers.

« Le seul secteur où il y a de la demande, c’est le court et moyen-courrier », constate Marc Rochet, président d’Air Caraïbes et directeur général de sa société à bas coût, French Bee. En revanche, « celui qui fait les frais de la crise, c’est le long-courrier, car ses principales destinations sont fermées comme les Etats-Unis, l’Asie ou encore l’Amérique du Sud », ajoute-t-il. La preuve avec Air France.

Alors que la compagnie nationale est à la peine sur le long-courrier, le trafic de sa filiale low cost Transavia a explosé cet été. Avec une offre de sièges supérieure à 2019, celle-ci a transporté autant de passagers qu’il y a deux ans et le double qu’en 2020. Mieux, son taux de remplissage s’est établi à 80 %, presque autant que sa rivale Ryanair, pourtant la championne en la matière.

Pour M. Rochet, le retour à la normale ne devrait pas intervenir avant la fin 2021 pour le moyen-courrier. En revanche, le long-courrier devrait prendre plus de temps avant de retrouver des niveaux d’avant la crise. « Pour le trafic affaires, cela devrait prendre de six mois à un an », prévoit-il. A l’en croire, certaines compagnies « disparaîtront, mais pas tout de suite ». Les victimes désignées seront celles « qui ont les coûts les plus élevés », notamment des compagnies du nord de l’Europe. Les autres, comme Air France-KLM ou Lufthansa, devraient retrouver des jours meilleurs. Un salut qu’elles doivent aux aides financières massives des Etats. Mais M. Rochet prévient : « Il faudra bien un jour payer l’addition de la dette. »