La fusée Vega-C, un échec sévère pour l’Europe spatiale
Après le fiasco du lancement, les Européens sont sans solution pour mettre en orbite des satellites
Dominique Gallois. Le Monde du 23/12/22
Cruelle fin d’année et sombres perspectives pour l’Europe spatiale. Son ambition de rester dans la course face aux Américains et aux Chinois est sérieusement remise en cause après l’échec du lancement de sa nouvelle fusée Vega-C. Mardi 20 décembre, deux minutes et vingt-sept secondes après son décollage de la base de Kourou, en Guyane, ce lanceur qui devait mettre en orbite deux satellites d’observation Pléiade d’Airbus a quitté sa trajectoire en raison d’une baisse de pression de son deuxième étage. Selon la procédure standard, l’ordre de destruction de cette fusée a alors été donné. Les débris sont tombés dans l’océan Atlantique.
Une commission d’enquête indépendante sera mise en place, a indiqué le président exécutif d’Arianespace, Stéphane Israël. Elle aura « la responsabilité de mettre en évidence la cause de la défaillance et de proposer des actions correctives solides et durables pour garantir un retour en vol sûr et fiable de Vega-C », a-t-il précisé. « Nous assumons pleinement la responsabilité de cet échec », a de son côté reconnu Giulio Ranzo, le patron de l’italien Avio, maître d’œuvre industriel de cette fusée.
Cet échec fragilise Arianespace, qui risque de se retrouver plusieurs mois sans lanceur pour honorer ses contrats. Jusqu’à début 2022, la firme européenne disposait d’une gamme de trois fusées, dont deux Européennes : la petite Vega, pour les satellites légers en orbite basse entre 300 et 2 000 kilomètres de la Terre, et sa grande sœur Ariane 5, pour de lourdes charges à placer en géostationnaire à 36 000 kilomètres. Elle complétait son offre avec des lanceurs russes Soyouz vers l’orbite basse, indispensables pour honorer son carnet de commandes. L’année 2022 devait être celle du renouvellement de la gamme avec la mise en service de Vega-C, plus performante que le modèle précédent, et Ariane 6, un lanceur polyvalent pouvant couvrir à la fois l’orbite basse et le géostationnaire, à des prix 40 % à 50 % inférieurs à ceux d’Ariane 5 pour être compétitifs avec les fusées Falcon lancée par Space X, la firme d’Elon Musk. Mais rien ne s’est déroulé comme prévu.
A commencer par Soyouz. A la suite du déclenchement de la guerre en Ukraine, Moscou a décidé de stopper toute collaboration avec l’Europe et les équipes russes ont quitté Kourou. Plus question de lancer des fusées. Impossible pour Arianespace de transférer vers Vega-C les satellites prévus sur les missions Soyouz, le plan de charge étant complet. Les clients privés se sont tournés vers d’autres sociétés de lancement. Ainsi, pour continuer à déployer sa constellation de satellites diffusant l’Internet haut débit, le français OneWeb a choisi l’Américain SpaceX mais aussi l’indien NewSpace India Limited.
Décalage
Deuxième revers : Ariane 6. Dès les premiers mois de 2022, il est devenu certain que le calendrier prévoyant un vol dans l’année serait à nouveau décalé, lui qui avait déjà plus de trois ans de retard. En décembre, l’ESA a annoncé un premier tir de qualification pour le quatrième trimestre 2023, les vols commerciaux devant débuter l’année suivante. Ce décalage compromet le passage de relais entre Ariane 5 et Ariane 6. Il ne reste que deux fusées à lancer pour le programme Ariane 5. Les tirs sont prévus au premier trimestre 2023. Pendant plus d’un an, l’Europe ne pourra pas donc mettre de satellites en orbite géostationnaire.
Et jamais deux sans trois avec aujourd’hui Vega-C. Le 13 juillet, le tir de qualification s’était déroulé sans encombre, ce qui rend plus déroutant encore l’échec du premier vol commercial. Des conclusions de la commission d’enquête dépendront l’utilisation ou non des deux petites Vega restantes. Si le problème vient uniquement du deuxième étage, elles pourraient alors être lancées, car les deux fusées n’ont pas le même modèle de structure à ce niveau.
Le défi est de taille pour Arianespace, qui doit assurer douze tirs de Vega-C et vingt-neuf d’Ariane 6 pour respecter son carnet de commandes. La firme a déjà trois années pleines de contrats jusqu’à fin 2026, le plus important étant les dix-huit lancements pour déployer la constellation de satellites Kuiper d’Amazon visant à fournir de l’Internet haut débit depuis l’espace. Le moindre décalage lui sera préjudiciable et exploité par ses concurrents, que ce soit Space X, qui domine le marché, ou les nouveaux comme l’Inde.
En attente
Dans l’immédiat, le risque d’incapacité de mettre en orbite des satellites pendant plusieurs mois pose la question de l’autonomie d’accès à l’espace des Européens, une question essentielle de souveraineté. Déjà, du fait du retrait de Soyouz, cinq missions sont en attente de lanceurs : deux pour les satellites de géolocalisation Galileo de la Commission européenne, deux pour l’ESA, et une pour le ministère français des armées.
Difficile d’imaginer un satellite français de défense embarquer sur une fusée étrangère, tout comme ceux de Galileo, qui pourraient attendre, étant redondants. Par contre, en raison de son programme, le télescope Euclid de l’ESA, visant à étudier l’expansion de l’Univers au cours des dix milliards d’années, devrait partir avec Space X… Une décision prise en octobre.
Quelques semaines plus tard, le 23 novembre, changement de ton. Les trois principaux contributeurs financiers de l’ESA, la France, l’Allemagne et l’Italie, ont signé un accord réaffirmant le principe d’une préférence européenne pour les lancements dits « institutionnels », c’est-à-dire ceux menés au profit des agences spatiales nationales et européennes. Un accord qui risque de rester lettre morte faute de fusées.