Le dernier Jumbo

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Source: Le Monde du 01/02/2023

A 54 ans, le Boeing 747 prend sa retraite

Le dernier exemplaire du mythique appareil de l’avionneur américain devait être livré mardi 31 janvier

Guy Dutheil

C’est un pan d’histoire qui s’achève. Mardi 31 janvier, Boeing devait livrer le dernier exemplaire de son mythique 747. La petite histoire retiendra que c’est la compagnie américaine Atlas Air qui a pris livraison à Seattle du 1 574e et ultime exemplaire du gros-porteur long-courrier. Une version cargo, comme la majorité des 747 sortis des chaînes ces dernières années. Pour l’occasion, Boeing a organisé une cérémonie dans son usine d’Everett, dans la grande banlieue de Seattle (Etat de Washington). Une unité construite en 1969 justement pour produire le fameux jumbo-jet puis ses successeurs, le 767, le 777 et le 787 Dreamliner.

Un véritable hommage à cet avion qui a fait beaucoup pour la renommée de l’avionneur américain. Immatriculé N863GT, le tout dernier 747 est aussi orné du portrait de Joe Sutter considéré comme le père de l’avion. Pour cette réception, les employés anciens et actuels, ont été conviés. A noter que beaucoup d’entre eux, retraités ou encore en activité, ont fait toute leur carrière sur le 747.

Intimement lié à la Pan Am

Lancé en 1969, le 747 est arrivé dans les cieux pile pour accompagner la démocratisation des loisirs, les débuts du tourisme de masse. Avec son imposante envergure et ses deux ponts, sa bosse si reconnaissable, le 747 était alors le roi du ciel. Dans l’imaginaire des passagers, l’avion reste intimement lié à la Pan Am, la compagnie de lancement de l’appareil, et à l’inimitable uniforme bleu paon de ses hôtesses de l’air. 

A lui seul, l’avion semblait justifier le célèbre slogan publicitaire : « If it’s not Boeing, I’m not going ! » (« Si ce n’est pas un Boeing, je n’y vais pas ! ») qui n’avait pourtant pas été créé pour lui. Un temps où Boeing n’avait pas de concurrents autres qu’américains.

Ce n’est qu’à la fin de 1970 qu’EADS, rebaptisé ultérieurement Airbus, a été porté sur les fonts baptismaux. Longtemps challenger de l’américain, le groupe franco-européen a voulu avoir lui aussi son long-courrier emblématique. Cela a été l’A380, un autre géant des airs, devenu, à son tour, l’avion préféré des passagers du monde entier. 

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard, si les deux jumbo-jets ont tiré leur révérence à quelques petites années d’intervalle. Faute de clients assez nombreux, Tom Enders, alors patron d’Airbus, a décidé l’arrêt de la production de son gros-porteur long-courrier, et le dernier A380 est sorti des chaînes d’assemblage en 2021.

L’épopée du 747 illustre aussi le temps où le long-courrier était le segment roi des avionneurs comme des compagnies aériennes. Le secteur longtemps le plus rémunérateur. C’est avec son gros-porteur et ses successeurs que Boeing gagnait le plus d’argent. C’est avec les classes affaires et les premières que les compagnies ont longtemps gonflé leurs marges. Un âge d’or aujourd’hui révolu.

Le déclin a commencé au mitan des années 1990 quand les compagnies à bas coûts ont pointé leur nez, comme easyJet en 1995. Une bascule que Boeing n’a pas su ou voulu voir venir. Un essor des low cost qui fait aujourd’hui la fortune d’Airbus. Faute de pouvoir rivaliser à l’époque avec la gamme de gros-porteurs de Boeing, le groupe présidé par Guillaume Faury a misé sur le moyen-courrier. Bien lui en a pris, avec son A320neo, le best-seller de l’aéronautique, le groupe franco-européen détient aujourd’hui plus de 60 % de parts de marché.

Course à la rentabilité

Fin 1996, le constructeur de Seattle est alors tout occupé à sa fusion avec son ancien rival américain McDonnell Douglas. L’objectif du rapprochement est de donner naissance à un géant mondial de l’aéronautique. C’est aussi une manière de freiner, faute de l’empêcher, le développement du nouveau rival européen Airbus. Au moment de la fusion, tout le monde pense que c’est Boeing qui avale tout cru son ancien rival. Mais, avec le recul, on s’est aperçu que c’est plutôt l’ancienne direction de McDonnell Douglas qui a pris les commandes de Boeing.

Dès lors, les priorités de l’avionneur américain vont changer. Avec ses nouveaux dirigeants, il va entamer une course effrénée à la rentabilité. Vingt ans plus tard, Boeing va en payer le prix fort. Fin 2018 et début 2019, deux crashes successifs qui ont fait 346 victimes, passagers et membres d’équipages, provoquent l’interdiction de vol pendant près d’un an du 737 MAX. Pour s’éviter le coût de développement d’un nouvel avion, estimé à près de 15 milliards d’euros, et ne pas rogner sur sa rentabilité, la direction de Boeing a préféré produire une nouvelle version de son moyen-courrier conçu dans les années 1960. Sans doute celle de trop.

Avec ses nouveaux moteurs trop gros et placés très en avant des ailes, le MAX a dû être équipé de logiciels pour corriger son assiette. Cinq ans plus tard, l’Américain n’est toujours pas sorti de la crise. Il a annoncé, mercredi 25 janvier, et pour la quatrième année de suite, une perte annuelle, cette fois de 5,05 milliards de dollars (près de 4,64 milliards d’euros). Un trou lié aux méventes de son MAX mais aussi de ses long-courriers et des retards successifs de son futur 777X.

Ironie de l’histoire, alors que le Covid-19 a eu raison tour à tour de l’A380 et du 747, considérés comme trop gros et trop gourmands en carburant, la sortie de la pandémie redonne une nouvelle jeunesse aux gros-porteurs long-courrier. Toutes les compagnies qui disposent encore du super jumbo d’Airbus dans leurs flottes, comme Emirates ou Singapore Airlines, s’empressent de les remettre en service pour faire face à l’afflux de passagers avides de pouvoir à nouveau voyager.