Economie de guerre ?

source: Le Monde

L’Europe glisse vers l’économie de guerre

PERTES & PROFITS|DÉFENSE

Par Philippe Escande

Thierry Breton s’est trouvé un nouveau combat : réarmer l’Europe. Le commissaire européen au marché intérieur parcourt le Vieux Continent, à la recherche d’obus. L’Ukraine en consomme près de 5 000 par jour, et en demande encore. C’est bien plus que ce que peuvent produire actuellement les usines allemandes, françaises ou espagnoles.

L’Union européenne a adopté le 20 mars un plan qui prévoit de puiser dans les réserves militaires et d’aider les industriels à monter en cadence. Et si cela ne suffisait pas, il faudrait se résoudre à acheter en dehors de l’Europe, ce que cherche à éviter le commissaire européen. Tout comme les masques ou le Doliprane, la priorité est désormais à l’autonomie stratégique.

Mais à la différence des nécessités nées avec la crise sanitaire, le besoin devrait durer plus longtemps. Le monde sort les fusils de toutes parts, et singulièrement en Europe. Le rapport de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm, publié dimanche 23 avril, fait état d’un nouveau record sur le front des armes.

Les gouvernements de la planète, qui s’inquiètent pour la préservation du climat et de la biodiversité, n’ont de cesse de s’approvisionner en armes. Les dépenses en 2022 ont atteint le montant inédit de 2 240 milliards de dollars (2 040 milliards d’euros), soit 2,2 % du produit intérieur brut (PIB) mondial. Si les Etats-Unis sont, de très loin, les premiers en termes de dépenses (39 % du total), ils précèdent une cohorte d’ambitieux gradés comme la Chine (13 %), la Russie (3,9 %), l’Inde et l’Arabie saoudite.

Toutefois, les plus grosses progressions viennent de la vieille Europe. Depuis l’annexion unilatérale de la Crimée par la Russie, en 2014, l’est du continent se réarme à grande vitesse.

Certes, les gros dépensiers restent toujours, dans l’ordre, le Royaume-Uni, l’Allemagne et la France, mais, si l’on regarde les frais engagés proportionnellement à leur richesse, mesurée par le PIB, la Grèce consacre 3,76 % de son PIB à la défense, la Pologne 2,42 % et les pays baltes, la Croatie ou la Slovaquie sont tous au-delà de la recommandation de l’OTAN de 2 %. A titre de comparaison, la France est à 1,9 % et l’Allemagne à 1,4 %.

Contrat avec Lockheed Martin

Le pays le plus allant dans ce domaine est la Pologne. Depuis que la guerre est à ses frontières, elle multiplie les contrats. Selon le Financial Times, les dépenses devraient s’élever à 4 % de son PIB en 2023. Elle a ainsi conclu un contrat de 10 milliards de dollars pour acheter 500 lance-roquettes Himars à l’américain Lockheed Martin. Elle disposera alors sur son territoire de plus d’exemplaires de ces engins qu’il n’en existe sur le sol américain.

Comme Thierry Breton, le gouvernement polonais voit le verre à moitié plein de dépenses qui contribueront à développer une puissante industrie militaire sur son sol, avec emplois et retombées économiques à la clé. Mais le verre à moitié vide est que cet argent manquera pour d’autres priorités, comme la transition écologique, la santé ou l’éducation. Les pays européens, et notamment les plus pauvres, glissent dans l’économie de guerre. C’est peut-être nécessaire, mais il est bien difficile d’y voir un progrès pour l’humanité.

Source: Les Echos