La desserte de l’outre-mer

Aérien : le projet d’un « Air outre-mer » renaît

L’idée serait de constituer, à côté d’Air France, un pôle axé sur les Antilles, la Guyane et La Réunion

Guy Dutheil. Le Monde du 4/05/2023

C’est l’arlésienne de l’aviation française. Depuis des années, la création d’un second pavillon tricolore à côté d’Air France fait l’objet de rumeurs récurrentes. Mais la pandémie de Covid-19 a rebattu les cartes. Après la crise sanitaire, il ne reste que deux sortes de compagnies aériennes : celles qui connaissent des difficultés et celles qui sont sorties plus fortes de cette épreuve.

A l’image d’Air France, ces dernières ont profité des aides d’Etat pour se renforcer, se restructurer, tailler dans leurs effectifs et moderniser leur flotte. Avec le retour de l’activité, une période de consolidation s’ouvre pour les compagnies, en particulier pour les plus petites et les plus fragiles. L’idéal selon les spécialistes du paysage aérien français serait de constituer, à côté d’Air France, un pôle axé sur les destinations d’outre-mer : les Antilles, la Guyane et La Réunion. Un « Air outre-mer » qui associerait Air Austral, la compagnie de La Réunion, Corsair et Air Caraïbes. « La consolidation est en marche. Elle est inévitable », admet auprès du Monde Pascal de Izaguirre, directeur général de Corsair et président de la Fédération nationale de l’aviation et de ses métiers. Un « Air outre-mer » serait la solution « aux problèmes de taille critique. Cela créerait des synergies et des économies d’échelle », ajoute-t-il.

Cette idée, portée notamment par le ministre délégué chargé des outre-mer, Jean-François Carenco, avait déjà pris un peu de corps à l’occasion de la présentation des résultats annuels d’Air France, mi-février.

A cette occasion, Ben Smith, directeur général d’Air France-KLM, avait plaidé pour une consolidation du secteur. « Le marché outre-mer est vraiment un marché sur lequel il devrait y [en] avoir une. Avoir quatre sociétés sur un seul réseau, des sociétés qui sont assez petites, ce n’est pas le plus optimal pour nous, ni pour les passagers. Existe-t-il une option qui pourrait être intéressante pour nous et les autres opérateurs ? C’est quelque chose qu’on étudie », avait-il lancé.

La situation financière difficile des trois compagnies remet régulièrement ce projet sous les feux de l’actualité. Alors qu’Air France est sortie de la crise plutôt renforcée, Air Austral, Corsair et Air Caraïbes font, à des degrés divers, figure de canards boiteux. Air Austral, reprise par un consortium de 27 investisseurs locaux, peut profiter d’un ballon d’oxygène bienvenu : 185 de ses 250 millions d’euros de dette viennent d’être effacés d’un trait de plume.

Ce sauvetage fait des envieux du côté d’Air Caraïbes et Corsair. Cette dernière travaille à la constitution d’un tour de table et négocie avec l’Etat pour la réduction de sa dette de 80 millions d’euros. La compagnie aimerait « soit un abandon, soit un rééchelonnement », explique M. de Izaguirre. En clair, comme pour Air Austral, faire payer le contribuable.

Méfiance

En attendant, elle a retardé la publication de ses comptes, qui aurait dû intervenir avant la fin 2022. Et il n’y a pas que les difficultés financières qui freinent un rapprochement des trois petits transporteurs. Il y a aussi des questions d’ego. Aucun des trois ne souhaite passer sous la coupe des deux autres.

De fait, l’opération sera tout sauf simple, car la méfiance est de mise. Du côté des petites compagnies, Air Austral, Air Caraïbes et Corsair, l’on soupçonne Air France d’être en service commandé. « L’Etat a demandé à Air France de régler le problème Corsair en la rachetant », affirme une source proche du dossier. Le gouvernement aurait-il enjoint à Air France de venir au chevet de Corsair comme contrepartie aux milliards d’euros de fonds publics déboursés pour sauver la compagnie nationale de la faillite pendant la crise ?

« Il n’y a rien eu de concret, pas de contact avec Air France. Nous attendons d’avoir d’éventuelles propositions », indique M. de Izaguirre. Corsair, en tout cas, apparaît dans tous les scénarios. A l’été 2022, l’idée d’un rapprochement avec Air Austral, portée par le gouvernement, a été abandonnée en raison de l’opposition farouche exprimée par les élus du conseil régional de La Réunion.

Chez Air Caraïbes et French Bee, propriétés du groupe familial Dubreuil, plus que la difficile sortie du Covid-19, c’est une question d’âge qui pourrait pousser au rapprochement. A un peu plus de 80 ans, Jean-Paul Dubreuil, brevet de pilote en poche depuis ses 17 ans et aux commandes du groupe depuis 1966, commencerait, dit-on, à préparer sa succession. Mais ses trois enfants, ses héritiers, ne partageraient pas sa passion pour le transport aérien.

Une solution pourrait mettre tout le monde d’accord : celle d’un pacificateur qui aurait les moyens de coaliser les trois compagnies. Selon nos informations, un fonds d’investissement travaillerait à la fondation d’une société, dont il détiendrait la majorité du capital, et qui regrouperait Air Caraïbes, Corsair et Air Austral. Les trois acteurs se verraient octroyer une participation au prorata de leur importance.

Ce discret projet semble encore loin d’avoir convaincu tous les acteurs, mais les observateurs du secteur en sont convaincus : la réalité du marché finira par s’imposer à tous. Et ce, d’autant plus que la concurrence s’avive, notamment au-dessus de l’Atlantique, et relance la guerre des prix. Outre la petite compagnie norvégienne à bas coût Norse, qui s’est lancée en mars entre Paris et New York, c’est la grande low cost américaine JetBlue qui va, elle aussi, relier la capitale française depuis la mégapole américaine à partir du 29 juin.