Les compagnies aériennes s’adaptent après la fermeture du ciel nigérien
Les conséquences à long terme risquent de peser sur l’organisation, les délais et les coûts
Marjorie Cessac. Le Monde du 10/08/2023
Il n’y a plus de vols. » Depuis Niamey, la capitale du Niger, où il est resté, en dépit de l’évacuation des Français qui a fait suite au putsch contre le président Mohamed Bazoum, le 26 juillet, Dominique (le prénom a été modifié), expatrié dans le pays, subit l’absence d’avions commerciaux depuis dimanche 6 août. Ce jour-là, face à la menace d’une intervention aérienne menée depuis les Etats voisins, la junte a pris la décision de fermer l’espace aérien du Niger. « On espérait qu’il resterait ouvert pour les cinq pays limitrophes comme auparavant, mais non. Alors, on attend », raconte encore Dominique, qui comptait prendre un vol afin de rentrer. Jusqu’ici sans succès.
Si elle entrave les mouvements des voyageurs sur place, cette situation entraîne déjà pour les compagnies aériennes des complications allant bien au-delà du Niger. Cette interdiction vient en effet s’ajouter à celle qui prévalait déjà pour le survol de la Libye et du Soudan, ce qui rend plus de la moitié du ciel sahélien impraticable pour elles.
Dans la précipitation, dimanche, Air France, British Airways, KLM, Lufthansa, entre autres, ont dû annuler des vols, les retarder, voire les dérouter afin de pouvoir faire le plein de carburant nécessaire à l’allongement de la durée de certains vols.
Sur six de ses vols, la compagnie hexagonale, qui dessert trente-trois destinations sur le continent africain, a par exemple dû faire demi-tour en plein vol en vue de refaire le plein de kérosène. Celui qui effectuait la liaison entre Nairobi, au Kenya, et Paris – Charles-de-Gaulle a ainsi été dérouté vers Casablanca, au Maroc, pour se réapprovisionner.
Suivi heure par heure
Air France a également suspendu ses vols à destination de Bamako (Mali) et Ouagadougou (Burkina Faso) jusqu’au vendredi 11 août inclus, ces deux pays étant dominés par des régimes militaires qui se sont solidarisés avec la junte du Niger. « Les vols opéreront sans escale entre Accra (Ghana) et Paris – Charles-de-Gaulle », a précisé la compagnie.
Depuis lundi, ces compagnies tentent de s’adapter, mais les conséquences, si cette situation venait à perdurer, risquent d’être fâcheuses en matière d’organisation, de délais et de surcoûts. D’autant qu’elles sont déjà pénalisées par la fermeture des espaces aériens ukrainien et russe.
« Au total, 37 % des vols durent plus de huit heures, soit 14 % de plus qu’avant la pandémie [de Covid-19] », détaillait une étude de l’organisation European Travel Commission publiée en mai, qui notait les pertes de parts de marché des compagnies occidentales au profit de leurs rivales chinoises.
En Afrique, ces contournements les obligent à changer de route, en passant, à l’est, par la mer Rouge et le canal de Suez et, à l’ouest, par le Maroc, notamment. De quoi occasionner des temps de trajet supplémentaires pouvant aller de quinze à quarante minutes de plus pour Johannesburg (Afrique du Sud), voire deux heures pour N’Djamena (Tchad).
« A ce stade, nous n’avons pas encore calculé les coûts supplémentaires que cela pourrait occasionner », poursuit le porte-parole d’Air France, qui confirme cependant la réorganisation de la « rotation des équipages » et le fait que les « temps de repos ont été recalés ».
De son côté, Brussels Airlines indique ne pas souhaiter, à court terme du moins, faire payer davantage ses passagers, même si elle reconnaît devoir user de plus de kérosène. « Tous les jours, nous réévaluons la question du carburant en fonction de l’extension du vol », souligne la responsable de la communication. « Cela peut nous amener à réduire la quantité de fret voire de cargo transporté », ajoute-t-elle en insistant sur le suivi heure par heure de la situation, la priorité étant« la sécurité des passagers ».
A ce titre, les compagnies aériennes préfèrent se montrer discrètes sur leurs plans de vol, certaines zones de conflit étant sujettes à interrogations, comme celle du corridor malien qu’empruntent certaines compagnies. A ce sujet, une note de l’aviation civile américaine, parue en février et révélée par le quotidien Les Echos le 14 mars, avait évoqué le « risque accru » encouru par les avions qui survolent le Mali « à toutes les altitudes » en raison de la présence d’un « système de défense antiaérienne sophistiqué »de longue portée, utilisé par le Groupe Wagner.–