Source: Le Monde
Le fragile regain de forme des compagnies aériennes américaines
American Airlines, United Airlines et Delta Air Lines sont confrontés à la hausse des prix des carburants et à des revendications salariales
Guy Dutheil
C’est un temps révolu, mais pas si lointain. Au printemps 2020, avec l’arrivée de la pandémie de Covid-19, les compagnies aériennes américaines, plus encore que leurs rivales européennes, ont essuyé de très lourdes pertes. American Airlines, le numéro un outre-Atlantique, perdait alors plus de 100 millions de dollars (94,5 millions d’euros) chaque jour.
Pour éviter la faillite, le groupe avait dû tendre la sébile à l’Etat, qui lui avait versé 12 milliards de dollars d’un généreux plan d’aide de 50 milliards destinés à sauver l’aéronautique. Delta Air Lines avait aussi annoncé des pertes record : près de 12,4 milliards de dollars en 2020, après un bénéfice de 6,2 milliards de dollars en 2019.
Requinquées par l’argent public, les compagnies régulières américaines ont vite retrouvé la grande forme. En 2022, leurs résultats financiers ont parfois dépassé ceux de 2019, tandis que leur niveau d’activité a flirté avec celui d’avant-Covid. A l’inverse de l’Europe, où ce sont les compagnies low cost qui sont reparties le plus vite, portées par la réouverture des court et moyen-courriers. Leur secteur d’activité de prédilection.
« Au plus fort de la crise, les compagnies aériennes se sont placées sous la protection du chapitre 11, la loi américaine sur les faillites qui permet de suspendre les créances et obligent les sociétés à se restructurer, explique Stéphane Albernhe, président du cabinet de conseil Archery Strategy Consulting. En échange du gel des créances, les entreprises ont procédé à de profondes restructurations de leurs flottes, de leurs réseaux, de leurs fréquences, de leurs lignes, de leurs cabines d’avion et de leurs effectifs. »
Pilotes en position de force
Résultat, en 2023, les bénéfices des grandes compagnies américaines devraient doubler, pour atteindre près de 10 milliards de dollars. Au deuxième trimestre, Delta Air Lines a enregistré les meilleures performances de son histoire. Signe de cette santé retrouvée, United Airlines, puis Delta Air Lines ont convoqué la presse internationale. La première dans son fief de Chicago, fin octobre, la seconde dans son hub d’Atlanta, début novembre. L’objectif est de mettre en avant la modernisation de leur flotte, avec, notamment, le renouvellement des cabines des avions.
Autre preuve de dynamisme, United Airlines a, dès 2021, recommencé à commander de nouveaux appareils. Après l’achat de 270 avions, il y a deux ans, et encore 200 en 2022, la compagnie a annoncé, début octobre, une commande de 110 avions, dont 50 long-courriers 787 Dreamliner et 60 moyen-courriers A321neo. Des contrats estimés à plus de 40 milliards d’euros au total. De son côté, Delta Air Lines avait passé commande, en juillet, de 12 moyen-courriers A220 et, depuis le printemps, elle mènerait des discussions avec Airbus pour une commande géante de long-courriers A330 et A350.
Cette période faste est-elle déjà en passe de s’achever ? Les compagnies sont confrontées à la hausse des prix des carburants, qui représentent un tiers de leurs coûts fixes, et aux revendications salariales des personnels. Notamment des pilotes, en position de force, car pas assez nombreux sur le marché pour accompagner la vigoureuse reprise de l’activité. Selon l’Association du transport aérien international, les compagnies du monde entier devraient transporter 4,35 milliards de passagers en 2023. Un résultat proche du record de 2019 (4,54 milliards).
Ainsi, American Airlines est retombée dans le rouge au troisième trimestre, avec une perte de plus d’un demi-milliard de dollars, après avoir dû verser 980 millions de dollars de prime à ses quinze mille pilotes cet été. Une augmentation de plus de 46 % étalée sur quatre ans. Les revendications des navigants risquent d’essaimer. C’est désormais au tour des hôtesses et des stewards de réclamer des hausses de leurs rémunérations : ils menacent de faire grève s’ils n’obtiennent pas 50 % d’augmentation sur quatre ans.
American Airlines n’est pas la seule à devoir sortir le carnet de chèques. Au printemps, Delta Air Lines a consenti à verser 7 milliards de dollars d’augmentation pour ne pas perdre ses pilotes. Et, en juillet, United Airlines acceptait 40 % de hausse des salaires, soit une enveloppe de près de 10 milliards de dollars.