Source: Le Monde du 15-11-2023
Turkish Airlines se lance à l’assaut des compagnies aériennes du Golfe
La Turquie entend s’imposer comme un hub incontournable entre l’Europe et l’Asie
Guy Dutheil
A l’occasion du Dubai Airshow, le salon de l’aéronautique de Dubaï, qui a ouvert ses portes lundi 13 novembre et se poursuivra jusqu’au vendredi 17 novembre, les commandes s’enchaînent. En toute logique, c’est la compagnie dubaïote Emirates qui a frappé la première : elle a annoncé une commande de 90 Boeing 777X, ce qui représente un coup de pouce majeur pour le programme du plus grand biréacteur du monde, attendu en 2025 après cinq ans de retard, selon des sources industrielles citées par l’agence Reuters.
Emirates a également ajouté cinq Boeing 787 supplémentaires à un contrat existant, déclarant que l’ensemble des nouveaux avions à fuselage large valait plus de 50 milliards de dollars (46,8 milliards d’euros, aux prix catalogue). La compagnie partenaire FlyDubai a également lancé l’événement par une commande de 30 Boeing 787-9, sa première de gros-porteurs.
Parallèlement, l’Arabie saoudite poursuit sa montée en puissance dans la région. Riyadh Air devrait ainsi finaliser une transaction pour 100 Boeing 737 Max, moyennant environ 12 milliards de dollars, prix catalogue. Un porte-parole d’Airbus a répondu presque simultanément par l’annonce que le groupe et Turkish Airlines avaient conclu un accord de principe pour une « importante commande d’avions commerciaux ». Comme pour peaufiner les derniers détails de cette prochaine opération d’importance, Guillaume Faury, PDG de l’avionneur européen, a marqué une halte à Istanbul, samedi 11 novembre, avant de se rendre à Dubaï.
La compagnie turque s’apprêterait à passer commande de pas moins de 355 appareils. Un contrat valorisé, prix catalogue, à plus de 53 milliards de dollars. Dans le détail, Turkish Airlines souhaite gonfler sa flotte de 90 long-courriers A350, le dernier-né des super-jumbos d’Airbus. Elle entend aussi renforcer son réseau moyen-courrier, avec l’apport de 250 A321neo d’Airbus.
Cela ne constitue pas une surprise. En mai, quelques semaines avant l’ouverture du Salon du Bourget (du 19 au 25 juin), près de Paris, Ahmet Bolat, PDG de Turkish Airlines, avait fait part de son intention d’acquérir 600 nouveaux avions. Selon lui, ceux-ci doivent s’ajouter à ceux de la compagnie au cours des dix prochaines années.
En se positionnant ainsi, Turkish Airlines montre un peu plus ses muscles. Depuis quelques années, à bas bruit, la Turquie vise à s’imposer comme un hub incontournable entre l’Europe et l’Asie. Cette ambition affichée par les autorités d’Ankara s’est d’abord traduite par la construction d’un nouvel aéroport à Istanbul, entré en service en 2019 et d’une capacité, dans un premier temps, de 90 millions de passagers par an.
Nombreux atouts
Dans le même temps, Turkish Airlines a décidé d’augmenter la taille de sa flotte et de la moderniser. Il s’agit de concurrencer les compagnies du Golfe, et notamment la première d’entre elles : Emirates. Pour remporter cette bataille, la compagnie turque dispose de nombreux atouts.
Géographiquement, la Turquie est mieux placée que les Emirats pour relier l’Europe à l’Asie, avec des routes plus directes et plus courtes. De surcroît, Turkish Airlines bénéficie d’accords de ciel ouvert avec l’Europe, contrairement aux compagnies du Golfe, ce qui limite leur nombre de vols et les destinations desservies sur le Vieux Continent.
Malgré tout, la compagnie turque doit se hâter, car elle n’est pas la seule à conclure de gigantesques commandes avec Airbus. En juin, au Bourget, c’est Air India qui avait fait sensation, avec un contrat de plus de 55 milliards de dollars pour 500 moyen-courriers Airbus A320. Avec plus de 8 000 avions dans ses carnets de commandes, soit près de dix ans de production garantie, le numéro un mondial de l’aéronautique ne sait presque plus où donner de la tête pour servir ses clients.
En 2022, s’il voulait livrer 720 appareils, seulement 661 sont sortis des chaînes d’assemblage. La faute en revient à certains sous-traitants, qui n’ont pas pu suivre sa remontée en cadence. En 2023, l’avionneur présidé par M. Faury s’est fixé le même objectif, mais, cette fois, il pourrait réussir son pari.
Afin d’y parvenir, il a inauguré, en juillet, une nouvelle ligne d’assemblage de moyen-courriers à Toulouse, dans l’ancienne usine dévolue au défunt A380. Airbus veut produire 75 appareils de la famille A320 chaque mois dès 2026. D’ici deux ans, il devrait disposer de dix usines d’assemblage pour approvisionner ses clients en temps et en heure.
Dans le match qui oppose Turkish Airlines et les compagnies du Golfe, la première ne sera pas la seule à acheter européen. Emirates devrait aussi annoncer une commande d’une centaine d’appareils chez Airbus. Cet achat d’A350, un avion concurrent, semble être suspendu en raison de négociations de dernière minute portant sur les conditions d’un accord sur les moteurs avec Rolls-Royce, d’après des sources industrielles. Aucune des entreprises n’a accepté de s’exprimer.