Source: Le Monde du 19/11/23
Les contrôleurs aériens refusent de voir leur droit de grève encadré
Des syndicats d’aiguilleurs du ciel ont déposé un préavis de mouvement social pour le lundi 20 novembre, touchant en particulier Orly
Guy Dutheil
Cette fois, ce ne sera pas pour augmenter leurs rémunérations, mais pour préserver leur organisation de travail que plusieurs syndicats de contrôleurs aériens ont déposé un préavis de grève pour le lundi 20 novembre. Comme à chaque fois, la direction générale de l’aviation civile (DGAC) a enjoint les compagnies aériennes d’« abattre », c’est-à-dire de réduire leur programme de vols de 25 % sur les aéroports d’Orly et de Toulouse-Blagnac, et de 20 % sur les plates-formes de province à Bordeaux-Mérignac et à Marseille-Provence.
Ces organisations représentatives, mais minoritaires, appellent les contrôleurs aériens à la grève après que les députés ont adopté, mercredi 15 novembre, une proposition de loi qui obligera les aiguilleurs du ciel à se déclarer grévistes au minimum quarante-huit heures avant le début d’un conflit social. Avant l’Assemblée nationale, le Sénat avait déjà voté, en juin, une proposition du sénateur Vincent Capo-Canellas (Union centriste) pour mettre les contrôleurs au même niveau que les autres salariés du transport aérien. En vertu de la loi Diard de 2012, ces derniers doivent se déclarer individuellement grévistes 48 heures avant le démarrage d’un mouvement.
La proposition de loi est le résultat d’une certaine exaspération des usagers et des professionnels relayée par les parlementaires. Le conflit du 20 novembre sera le 53e jour de grève observé par les contrôleurs aériens depuis le début de l’année. En Europe, la France fait figure de championne toutes catégories. Depuis 2005, les aiguilleurs du ciel ont cumulé 249 jours de grève. Un record en comparaison des 44 journées de grève des contrôleurs en Grèce ou des 34 jours en Italie au cours de la même période. Sans commune mesure surtout avec les autres pays du Vieux Continent qui ont subi moins de dix journées de grève de cette profession en dix-huit ans.
Procédure coûteuse
Pour les détracteurs des aiguilleurs du ciel, outre les conflits à répétition, ce sont les motifs de ces mouvements qui ne passent pas. Ainsi, à l’instigation notamment de la CGT, les contrôleurs ont été appelés à faire grève pendant le mouvement contre la réforme des retraites. Pourtant, le régime particulier des contrôleurs du ciel n’était pas en cause et ces derniers peuvent prendre leur retraite à partir de 54 ans contre désormais 64 ans pour la grande majorité de salariés.
Ces dernières années, les compagnies aériennes françaises et européennes s’étaient régulièrement élevées contre la multiplication des journées de grève. Bien que très peu suivies, elles obligeaient, à chaque fois, la DGAC, à demander aux compagnies aériennes de réduire le nombre de leurs vols. Une procédure coûteuse pour Air France et ses homologues.
Il ya un mois, Michael O’Leary, le PDG de la compagne irlandaise à bas coûts Ryanair, avait interpellé la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Le patron de la compagnie la plus profitable d’Europe avait réclamé que des mesures urgentes soient prises pour « protéger les survols et la liberté de mouvement des citoyens de l’Union européenne » en cas de grève des contrôleurs aériens français.
Outre la réduction des programmes de vols des compagnies, une grève oblige les avions en provenance d’autres pays de l’Union à contourner la France. Un allongement des vols qui a un coût. Cette nouvelle disposition satisfait le ministre des transports, Clément Beaune, qui a qualifié le texte de « protecteur ». Selon lui, il permet de mettre fin « à un système asymétrique » à l’origine d’une « désorganisation du service public ».
Par ailleurs, la conflictualité dans l’aérien pourrait rebondir sur un autre sujet. Un décret a abrogé, le 31 octobre, la partie du code de l’aviation civile concernant « les règles relatives à la durée du travail, aux repos, aux congés et plus généralement au statut social des personnels navigants » pour la transposer dans le code des transports, dénoncent la plupart des syndicats du secteur.
Alors que cette transposition est censée se faire « à droit constant », le gouvernement a profité de l’occasion pour revenir, sans concertation, sur certaines dispositions comme la durée du travail des navigants ou les renforts d’équipages, pointent les organisations.
Selon les syndicats, le décret est aussi « une remise en cause de l’indépendance » des inspecteurs du travail. Depuis le 1er novembre, ils n’ont plus le droit d’inspecter une compagnie aérienne sans obtenir par avance « un commissionnement », c’est-à-dire une autorisation du gouvernement, qui pourrait le refuser ou bien faire traîner les choses à sa guise.
Parmi les représentants des pilotes, des hôtesses et des stewards, ce décret a fait l’effet d’une petite bombe. Il s’agit d’une « agression directe », déplore un pilote. Les syndicats interpellent le ministre des transports et préparent un communiqué commun. Cette démarche pourrait être le prélude à un appel à la grève dans les prochains jours.